François Vincent : entre deux
François Vincent a fait d’un logement du quartier Villeray son atelier. Quelques cloisons ont été abattues. Un puits de lumière a été installé. Il a travaillé sans relâche tout l’été à son solo d’automne. L’exposition, à la Galerie Lacerte en octobre, réunit une trentaine d’œuvres : croquis, dessins en noir et blanc, estampes, peintures à l’huile et techniques mixtes de tous formats.
L’atelier de François Vincent semble être un monde protégé, entièrement dévolu à la peinture. Les œuvres déjà prêtes sont là. Effet stéréo assuré, souvent celles-ci, en une double partition, font se rencontrer deux icônes comme posées en leur centre. Masques ? Objets organiques ? Reliefs ? Formes minérales ? Elles semblent évacuer la représentation humaine. Elles se posent, dédoublées, sur des plages colorées en tons pastel, cassés et nuageux.
Deux poids. Deux mesures. Les objets ainsi accouplés contrastent parfois par une certaine qualité de texture ou de densité, tandis que de l’un à l’autre, leurs motifs pourraient se prolonger. À mi-chemin entre l’abstrait et les suggestions du monde visible, elles imposent leur propre secret. Une affirmation se dérobe, en revanche la peinture s’inscrit et demeure tantôt avec jubilation tantôt en des couleurs nocturnes et sourdes non sans une pointe d’inquiétude. Sans cesse à la recherche de points de rencontre, cette articulation de l’esquisse et de l’affirmation renforce le pouvoir de suggestion et de narration de tableaux dont les ressorts se déploient en une spirale mystérieuse. La disposition instaure une hésitation entre deux choix, deux voies, deux issues. Nous sommes forcés de réinventer, devant ces mondes flottants, nos propres référents, nos propres orientations.
D’autres tableaux, aussi énigmatiques, se construisent autour de certains éléments figuratifs ou architecturaux, un drapé baroque et chatoyant. On devine des signes, le cercle et le trait, le zéro ou le « un » bâtonné qui se multiplient. À travers ce ravissement sensoriel pour l’œil, un doute pourtant nous enveloppe. « Ma peinture est un haïku, m’a confié François Vincent il y a quelques années. Sans en avoir l’air, le haïku décrit en deux, trois vers à la fois le désir et la difficulté de retenir ce qui fuit ou de ne pas laisser s’échapper ce qui passe. Un peu comme une trace sans cesse entrevue mais jamais fixée. »
Me montrant ses tableaux « plissés », François Vincent me parle aussi devant eux de paysagisme. Les drapés se font troncs d’arbres dans une forêt. Leurs couleurs nacrées ou sourdes expriment alors autant des essences rares que la fêlure de chaque image, que d’incertains plis minéraux. Le haïku dans sa simplicité même, explique le poète québécois Jean Royer, suggère « autre chose1 ». Si les mots qui le construisent dépassent rarement ce seuil de la simple suggestion, les portes du sens en sont grandes ouvertes. Forêt ou étoffes plissées… la force de cette peinture serait de suggérer qu’elle est à la fois ici et ailleurs.
La transcription du réel qui en est le point de départ nous bouscule, car elle est liée à un indicible. Cette méditation s’imprègne fortement du métier de peindre, de la fascination pour les effets d’illusion, une mémoire des ombres et des lumières inventées, de ces artifices, de ces déploiements somptueux, drapés, plis et autres « effets » d’atelier ! Faut-il ajouter que cette virtuosité n’est pas là pour « en jeter plein la vue » ? Et que l’illusion des effets ne fait que nous renvoyer, du coup, à la matérialité même de ces coups de pinceaux, de ces tracés et des recouvrements à travers lesquels une sorte de magie opère ?
En ce sens, François Vincent pratiquerait un art de l’entre-deux mondes. Et cet art serait aussi inclassable que celui de certains artistes qu’il admire. Dans cette « famille » se côtoient ces « peintres du silence » que sont Rothko, Hopper ou Morandi. Par sa façon de donner dans ses natures mortes l’impression d’une vie secrète, ce dernier est l’une des grandes références de François Vincent.
Nous parlons… Hopper… l’Italie dont il revient, où il a parcouru en vélo le lac de Garde… son travail de gravure… À ce sujet, cet été, lors de l’exposition Résonances, le Musée québécois de la culture populaire de Trois-Rivières lui a demandé, ainsi qu’à deux autres artistes, de jumeler ses estampes, où s’allient avec brio impression numérique sur chine et eau-forte traditionnelle sur papier d’Arches, à certains objets de la collection du Musée. François Vincent a choisi les modestes pierres qui servent notamment à affûter les faux.
(1) Jean Royer, L’arbre du veilleur, Éditions du Noroît, Montréal, 2013.
Galerie Lacerte art contemporain, Montréal
Du 5 au 26 octobre 2013