Née à São Paulo, Giorgia Volpe vit et travaille au Québec depuis 1998. Sa pratique, multidisciplinaire, s’inscrit dans un questionnement artistique dont les notions de processus et de construction par la répétition et l’accumulation sont centrales. Adepte d’un minimalisme qui cherche à utiliser des formes simples tirées du quotidien pour créer un dialogue avec la réalité, elle ne se limite ni à des techniques ni à des matériaux spécifiques. Les œuvres de Giorgia Volpe demeurent poétiques dans leur ensemble, et elles évoquent des sujets universels comme l’histoire et la mémoire (sensorielle et affective), la migration et le métissage.

Pendant les vingt-cinq dernières années, elle a établi un corpus riche composé d’œuvres intimistes et d’œuvres d’art public, parfois même monumentales. Que ce soit au moyen de gestes visuels comme des dessins, des gravures ou des collages, ou avec des interventions performatives, ses œuvres sont toujours créées en dialogue avec l’environnement immédiat de manière à favoriser une collaboration adaptée au lieu de son intervention.

Fruits de collaborations participatives spontanées ou avec un mode d’emploi préétabli, ses œuvres mêlent des savoir-faire traditionnels à des savoirs plus actuels. Pour l’œuvre Insurrection végétale (2015-2018), elle a établi une collaboration directe avec l’entreprise en agriculture intelligente locale Inno 3B pour développer un jardin nomade. Dans la « Vrille mobile », une roulotte Boler, présentée dans le stationnement d’un centre commercial de La Pocatière, une végétation poussait au travers d’une installation qui intégrait autant du végétal que des éléments culturels. Dans un endroit peu propice pour un jardin, l’artiste crée une utopie vivante avec une stratégie dont la réalisation était autant complexe que poétique.

Giorgia Volpe, « La renverse : où va la marée quand elle s’envole? » (2011). Halte Marine de La Pocatière. Photo : Giorgia Volpe, courtoisie de l’artiste

Sa démarche veut ainsi rendre visibles les pratiques culturelles locales. Pour l’installation La renverse : où va la marée quand elle s’envole ? (2011), présentée sur le site du marais salé de l’anse de La Pocatière, elle a installé une série de textiles aux formes hybrides, inspirés de l’imaginaire de la communauté du Bas-Saint-Laurent et de la diversité de la faune marine telle que décrite par des pêcheurs lors d’échanges avec elle. La région de Kamouraska devient une source d’inspiration. Volpe part d’une situation locale distincte et puise dans son histoire, sa littérature, ses structures sociales et philosophiques, ou bien elle révèle des situations d’urgence. Dans le cas de La renverse, c’est la disparition de la pêche aux anguilles, la perte d’un métier traditionnel et le constat de l’espèce en péril. L’œuvre est à la fois un monument éphémère et un deuil symbolique. L’artiste a installé une vingtaine de manches à air noirs, suspendus au bout des perches utilisées pour la pêche aux anguilles. Pour la durée de l’intervention, les paysages culturels et naturels forment un territoire commun – évoqué dans la forme des œuvres et documenté en photographies. Ces images participent à l’approche conceptuelle portée par Volpe, et elles deviennent œuvres lorsque les interventions sont terminées.

Giorgia Volpe, Se la couler douce (2015-2021)
Symposium international d’art-nature des Jardins du précambrien, Fondation Derouin
Photo : Jean-François Boisvert, courtoisie de l’artiste

Le dialogue établi entre l’artiste et son environnement amène à concevoir les enjeux géopolitiques du territoire de manière subjective et intersubjective, qui sont constamment soumis à des changements. Depuis La renverse, qui répondait à une urgence actuelle créée par des changements des structures socioéconomiques, d’autres œuvres ont suivi une logique différente : en transformant la manière d’expérimenter et d’habiter l’environnement, l’installation et performance intitulée Se la couler douce (2015-2021) a testé la capacité de l’œuvre à se disséminer in situ. Giorgia Volpe nomme ces œuvres en dialogue avec leur environnement des « interventions poétiques ». Pour Se la couler douce, elle emploie le textile comme une métaphore du tissu social, un matériau qui connecte l’humain avec son environnement. Par l’usage d’objets récupérés, elle crée un dialogue entre la nature et la culture. Ici, une vingtaine de hamacs tressés à partir de tubulures bleues récupérées, originellement utilisées pour la production du sirop d’érable à Québec, se déploient depuis 2015 dans des espaces tantôt naturels, tantôt culturels : dans une érablière des Laurentides (dans le cadre des Jardins du précambrien, de la Fondation Derouin), au Centre d’exposition Expression de Saint-Hyacinthe (2019) ou encore à l’Espace Félix-Leclerc, sur l’île d’Orléans (2021). Suivant le leitmotiv du métissage, les matériaux industriels usuels de plastique deviennent des moyens pour générer un échange entre le visiteur et le lieu de repos. Les personnes désirant en faire l’expérience sont invitées à prendre place dans les hamacs et à s’allonger sur le tissu fait de ficelles naturelles, culturelles et sociales. Le corps du spectateur participe de l’œuvre : allongé dans des hamacs entre deux arbres, il est en communion avec la nature.

Par la volonté de poser un geste significatif résonnant dans le paysage, et par la volonté de faire appel aux habitants pour réactualiser leur territoire, l’artiste propose d’imaginer des nouvelles manières d’habiter, ensemble.

Pour faire resurgir ce « triple territoire » – à la fois naturel, culturel et social –, Giorgia Volpe fait évoluer sans cesse ses stratégies d’interventions. Invitée par La Matrice, une plateforme d’activités, d’échanges et de discussions artistiques sur le territoire de la MRC de L’Islet, elle a réalisé à l’été 2020 trois interventions avec un groupe de jeunes de la région. L’artiste travaille à partir du paysage culturel, mais aussi de l’histoire et des récits du lieu. Cette mémoire forme la base du répertoire des gestes performatifs, qui sont ensuite employés in situ, sur le terrain et en contexte, selon le savoir-faire manuel local. Dans le cas de l’Étude de Soulèvement (2020), elle puise dans les caractéristiques géographiques de L’Islet, municipalité marquée par le fleuve, les terres agricoles et la forêt, et qui sont à la fois sources, matériaux et contenus de l’œuvre. L’artiste est à l’écoute des jeunes de L’Islet qui sont invités à exprimer leurs visions identitaires pour le futur de cette « idée/lieu », leur Heimat, un sentiment envers un endroit dont la spécificité socioculturelle est aussi unique d’un point de vue personnel. Ces ateliers comprennent la composition d’une série d’interventions documentées en photos et en vidéos, plus précisément des scènes d’actions développées et vécues avec les participants.

Giorgia Volpe est portée par l’envie d’aller à la rencontre des autres. Ses interventions sont animées par un échange perpétuel d’ouverture et d’inclusivité, et ses collaborations intersubjectives se veulent comme des lieux sensibles d’accueil. Par la volonté de poser un geste significatif résonnant dans le paysage, et par la volonté de faire appel aux habitants pour réactualiser leur territoire, elle propose d’imaginer des nouvelles manières d’habiter, ensemble.

Giorgia Volpe, Insurrection végétale (2015-2018)
Vrille art actuel (2015) et Biennale nationale de sculpture contemporaine
de Trois-Rivières (2018)
Photo : Giorgia Volpe, courtoisie de l’artiste