Le Groupe des peintres canadiens, vivier de modernité
Incarnant la transition entre le Groupe des Sept et les mouvements d’avant-garde du milieu du XXe siècle, le Groupe des peintres canadiens (GPC) a joué un rôle souvent négligé dans l’implantation de la modernité artistique au Canada, notamment par ses tournées au-delà des grands centres. Une nouvelle exposition itinérante en revisite certaines étapes, en 48 tableaux, un pour chacun de ses membres principaux.
Elle revient sur les pas de la première exposition centrée sur le GPC il y a vingt ans à la Robert McLaughlin Gallery1, puisant dans les collections du magnat de l’automobile éponyme dont la fille Isabel McLaughlin, peintre de talent, mais surtout pilier et mécène du groupe, se voit maintenant consacrer un des trois articles d’un catalogue publié également en français par la galerie d’Oshawa, conjointement avec celle de l’Université Queen’s. Ces textes alternent avec trois blocs de reproductions commentées d’« Œuvres phares » tirées des expositions des vingt premières années de plus intense activité du groupe fondé en 1933 et finalement dissous en 1969, que survole la commissaire Alicia Boutilier de l’Agnes Etherington Art Centre, où s’ouvre l’exposition.
Le centre eut après tout pour premier directeur André Biéler. C’est lui qui organisa en 1941, pour le GPC, la fameuse Conférence de Kingston des artistes canadiens sur leur place dans la société, dont sortira la Fédération des artistes canadiens, contribuant à la politique culturelle nationale qu’instituera le Conseil des Arts. Avec une scène de Marché en temps de guerre à Kingston, Biéler représente un réalisme social, si stylisé soit-il, parmi les œuvres d’une section de l’exposition sur l’engagement dans « Le temps présent ». Biéler est lui-même représenté par un de ces élégants portraits dont Lilias Torrance Newton avait le secret, dans la section consacrée à la « Figure humaine », puisque c’est aussi par la place qui y était faite que le GPC se démarquait de l’obsession nationaliste du paysage romantique au Groupe des Sept.
Non que le paysage eut cessé de tenir une place de choix au GPC. C’est certes le Groupe des Sept qui établit celui-ci comme son successeur, en élargissant son amicale pour accueillir tout l’éventail des démarches modernistes dans l’ensemble du pays et y organiser leur diffusion par des expositions régulières, dont les principales se tenaient chaque année ou tous les deux ans, généralement à Toronto et à Montréal. Malgré la place qu’allaient se tailler, dans les « Perspectives nouvelles » des paysages de cette exposition, les habitations humaines et les structures industrielles à côté de scènes urbaines, c’est encore la nature nordique dans la tradition des Sept qui retint l’attention de la critique à la première exposition du GPC à Atlantic City, au Heinz Art Salon, dans un pavillon sur pilotis surmonté d’un grand « 57 » électrique. Le groupe dut ce coup de publicité à double tranchant aux contacts professionnels de Bertram Brooker comme dessinateur commercial ; celui-ci n’allait pas moins être un des pionniers de l’abstraction parmi les peintres canadiens, avec Gordon Webber, B.C. Binning et Jack Bush – représenté ici par des Nettoyeurs de tranchées (1945) n’annonçant guère les Painters Eleven, plutôt que dans la section sur les « Formes émergentes », affranchies d’une stricte figuration.
Variétés de l’expérience moderniste
Un tel patronage inaugural pourrait certes prêter à une ironie facile sur les 57 variétés de modernisme coexistant dans ce groupe fourre-tout, d’une autre nature que les groupes d’avant-garde dont la séquence linéaire scande l’histoire de l’art d’anathèmes péremptoires. En 1948, un enjeu semblable opposera pourtant deux d’entre eux, l’éclectisme d’un Prisme d’yeux affrontant le sectarisme de Refus global, qui sonnera le glas de la Société d’art contemporain. John Lyman avait fondé celle-ci en 1939 pour les artistes québécois, afin de les aligner plus nettement sur les courants internationaux du modernisme que le GPC ne lui en paraissait capable, vu l’héritage national encombrant du Groupe des Sept. À ceci près, ces deux associations se ressemblent étrangement, jusqu’à la marginalité initiale de la relève francophone dans des milieux artistiques anglophones, à laquelle le GPC n’arrivera jamais à remédier (malgré la présence d’un Jacques de Tonnancour, théoricien de Prisme d’yeux), ce qui nuira de plus en plus à sa crédibilité.
Le succès des petits groupes bien définis d’artistes d’avant-garde et de leurs galeries attitrées rendra bientôt superflu le rôle d’intermédiaire auprès des musées et du public qu’avait si bien rempli le GPC pendant ses belles années, comme un précieux vivier de la modernité artistique. Des travaux pionniers comme ceux d’Esther Trépanier permettent aujourd’hui d’apprécier tout le spectre synchronique de ses premières manifestations d’avant-guerre, par-delà les œillères imposées par la diachronie téléologique du modernisme d’après-guerre, qui ont longtemps relégué le GPC dans un angle mort de l’histoire de l’art.
Une quête d’unité sous-jacente
On reconnaît également au GPC le mérite d’avoir d’emblée permis aux femmes d’assumer un rôle actif dans le développement de l’art canadien, vu la place importante qu’y occupèrent notamment des Montréalaises comme celles du groupe du Beaver Hall ainsi que Marian Dale Scott. Déjà l’une des fondatrices de la SAC, ancêtre du MAC, celle-ci rejoignit également pour vingt ans le GPC en 1942, mais refusa le thème de la guerre suggéré pour l’exposition de 1944 (notamment illustré par l’Avancée des tanks, Italie de Lawren P. Harris, d’un réalisme magique rappelant son collègue du GPC à l’Université Mount Allison, Alex Colville). Scott produisit plutôt une œuvre qui rend peut-être visible le noyau insaisissable d’une sensibilité sous- jacente au GPC, à même la polarité qui s’y dessine entre une figuration d’un hiératisme touchant à l’abstraction et une abstraction dont émergent des formes concrètes. Atome, os et embryon dépeint biomorphiquement le jeu d’orbites atomiques autour d’une cellule dédoublée au creux d’un bassin féminin, situant la créativité en cette matrice où s’entrelacent l’organique et l’inorganique, vie intime et structure cosmique, monde intérieur et univers extérieur, dans l’idée que « les scientifiques et les artistes ont en commun la recherche perpétuelle de sens2 ». Ainsi que le montre Anna Hudson dans un essai touffu sur « la représentation de la conscience dans la peinture moderne canadienne », un tel « humanisme scientifique » nourri de nouvelle physique, s’ajoutant aux tendances théosophiques du Groupe des Sept, inscrit le modernisme des peintres canadiens à la pointe de certains courants intellectuels holistes de leur temps, non sans résonances avec le nôtre.
(1) Joan Murray. Pilgrims in the Wilderness : The Struggle of the Canadian Group of Painters (1933-1969). Oshawa, ON : The Robert McLaughlin Gallery, 1993. Voir aussi l’exposition virtuelle du Musée des beaux-arts du Canada sur la peinture canadienne des années 1930, revisitant l’exposition organisée en 1975 par Charles Hill : http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/enthusiast/thirties/content_f.jsp?chapter=0.
(2) Marion Scott, « Science as an Inspiration to Art », Canadian Art, vol. 1, n° 1 (oct.-nov. 1943), p. 19, in Alicia Boutilier, Anna Hudson, Heather Home, Linda Jansma. Le Groupe des peintres canadiens : une force vive. Kingston : Agnes Etherington Art Centre, Queen’s University & Oshawa : The Robert McLaughlin Gallery, 2013, p. 86.
Agnes Etherington Art Centre Queen’s University, Kingston
Du 16 mars au 14 juillet 2013
The Robert McLaughlin Gallery, Oshawa
Du 30 novembre 2013 au 3 février 2014
Owens Art Gallery Mount Allison University, Sackville
Du 28 mars au 1er juin 2014
Mendel Art Gallery, Saskatoon
Du 27 juin au 21 septembre 2014