Peintre, graveur et dessinateur, Louis-Pierre Bougie a créé au cours de sa carrière dix livres d’artiste en collaboration avec des poètes et des écrivains marquants, dont Michel van Schendel, Michaël La Chance, Geneviève Letarte et le Français Michel Butor.

À partir d’un poème écrit par son ami François-Xavier Marange, récemment décédé, le graveur a achevé la réalisation de son onzième livre, intitulé Ainsi fait. Profondément humaniste, l’artiste met en scène des êtres vivants qui gravitent dans des mondes parallèles marqués par le malaise ou le vide existentiel. Cette iconographie, qui a fait la marque de Louis-Pierre Bougie, se retrouve dans toute sa production, y compris dans le domaine du livre d’artiste, où il sonde l’âme humaine en concevant des univers souvent sombres, mélancoliques ou énigmatiques. Ses œuvres reflètent un état d’esprit que partagent le visuel et l’écrit. Ainsi s’établit un dialogue entre l’image et le texte, et chacune des disciplines interpelle l’autre dans un souci d’émulation sur le plan expressif.

Louis-Pierre Bougie et le livre d’artiste

Trouvant son origine dans les manuscrits médiévaux, le livre d’artiste est devenu au fil du temps une catégorie propre du domaine des arts. Son évolution correspond aussi à celle des procédés de la gravure, de la typographie et des nouveaux outils numériques. Louis-Pierre Bougie, quant à lui, privilégie l’eau-forte, un procédé de gravure utilisant une plaque métallique sur laquelle l’artiste dessine des motifs soit avec l’aide d’un outil à pointe métallique, soit en badigeonnant des zones avec de l’acide, ce qui permet de créer des effets de lavis. Le pressier encre ensuite la plaque et imprime sur une surface de papier ce qui deviendra la gravure proprement dite. L’œuvre peut être estampée plusieurs fois et devient un multiple. Dans les travaux de Louis-Pierre Bougie, le nombre d’exemplaires varie d’un livre à l’autre, tout comme le nombre de gravures. Le livre Terre brune, dont la production s’échelonne de 1992 à 2004, contient 25 gravures tandis qu’on en dénombre six dans Les derniers outrages du ciel, paru en 1992.

Cette rétrospective demeure une occasion de mesurer l’ampleur et la qualité des ouvrages de Louis-Pierre Bougie et d’en apprécier les variables graphiques. Dans Le Prince sans rire (1983), on remarque une stylisation du dessin. La ligne structure les scènes et simule un dynamisme par les mouvements qu’elle exécute. Sur le plan de la représentation, l’artiste s’écarte de la simple vraisemblance en jouant notamment avec le rapport d’échelle des personnages. Les scènes qu’il grave s’écartent de la stricte réalité des apparences, car le graveur préfère l’onirisme et le bizarre pour évoquer des lieux qui semblent intangibles. Flou comme la nuit (1999), œuvre intimiste utilisant plutôt la technique de l’aplat, plonge aussi le spectateur dans des contextes intemporels. Les êtres dessinés semblent évoluer hors du temps, renvoyant des reflets de leur intériorité. Ceux-ci se matérialisent par des émotions et des sentiments universels oscillant entre la joie et la tristesse, l’espoir et la défiance. C’est ce qui capte le spectateur, car le monde de Bougie est un monde de dualité. L’être se confronte à lui-même par des gestes, des attitudes et des regards qu’il transmet sous le mode de la confidence et du secret comme si la vérité rési­dait dans la conscience de chaque individu. Voilà pourquoi le regardeur est si touché par la force et la poésie des images inventées par l’artiste, le rangeant parmi les grands de la gravure. Cette reconnaissance est partagée par de nombreux commentateurs, notamment le critique et artiste Léo Rossandler, qui inscrit l’art de Louis-Pierre Bougie dans la lignée des Goya, Redon et Klimt2.

Un parcours exceptionnel

Louis-Pierre Bougie s’initie à la gravure dès 1967 à l’École des beaux-arts de Montréal et, par la suite, dans différents ateliers montréalais, dont l’Atelier libre de recherches graphiques et Graff. En 1979, il s’envole pour Paris et fréquente, entre autres, l’atelier Lacourière-Frélaut. Ce passage sera déterminant. Il raffine sa technique et se professionnalise grâce à l’enseignement par compagnonnage qui prévaut à cet endroit et par ses rencontres avec des imprimeurs, des typo­graphes et des relieurs. Inévitablement, l’aventure du livre d’artiste s’est imposée à lui. Comme le souligne Sylvie Alix, la multiplication des images propre aux techniques de gravure fait de l’estampier un hôte naturel du livre. Elle précise que le graveur, à l’instar des artisans, possède également une expérience dans la mani­pulation des papiers, des encres et autres matériaux organiques tels la pierre ou les métaux3. Tout en développant son langage plastique, Louis-Pierre Bougie a su intégrer les multiples connaissances liées à la production de livres d’artiste, ce qui fait de lui un grand spécialiste en la matière. Il ne reste plus à chaque spectateur qu’à se laisser emporter par l’imaginaire et les prouesses techniques de Louis-Pierre Bougie et à voyager au plus profond de lui-même dans cette aventure livresque plus que féconde. 

(1) L’événement a eu lieu au mois de mai 2011. Pour l’occasion, un opuscule a été publié par la Maison de la culture. Ce présent article en reprend le titre et en contient des extraits.

(2) Propos recueillis par Sylvie Alix dans le livre L’univers de Louis-Pierre Bougie, Prix de la Fondation Monique et Robert Parizeau, Musée national des beaux-arts du Québec, 2005, p.17.

(3) Sylvie Alix, L’univers de Louis-Pierre Bougie in Louis-Pierre Bougie, Prix de la Fondation Monique et Robert Parizeau, Musée national des beaux-arts du Québec, 2005, p. 15.


LOUIS-PIERRE BOUGIE – 30 ANS DE LIVRES D’ARTISTE
Commissariat : Claude Morissette
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Montréal
Du 27 août 2013 au 16 février 2014