L’exposition, simplement intitulée Michel de Broin, constitue un premier bilan critique du travail de l’artiste à l’imagination débridée. La trentaine d’œuvres exhibées regroupe de nombreux médiums, de la sculpture à la vidéo en passant par les installations, l’imprimerie, le film et la photographie. Le tiers a été créé spécifiquement pour l’événement. D’autres, plus anciennes, ont parfois été remaniées ou réinterprétées, l’artiste considérant que son travail peut évoluer au gré des contextes de diffusion.

Depuis une quinzaine d’années, Michel de Broin réalise également de larges sculptures dans le contexte de projets d’art public. Les Montréalais sont probablement familiers avec L’Arc, sculpture située dans le parc Jean-Drapeau, en hommage au président chilien Salvador Allende : elle donne à voir un arbre en acier dont la cime pénètre le sol, qui « cherche ses racines ». Spectaculaire, l’immense sculpture intitulée Révolutions, derrière la station de métro Papineau, forme un nœud constitué d’un escalier en aluminium typique de ceux que l’on retrouve en ville. Un escalier qui ne mène nulle part et qui tourne en rond… les sceptiques y trouvent leur compte !

Toujours surprenante et ingénieuse, la production de Michel de Broin se démarque par le délicat équilibre entre son aspect ludique et le sérieux du propos. Se jouant des « systèmes » et des idées toutes faites, l’artiste manipule les objets et en détourne le sens, adressant à l’occasion un clin d’œil au visiteur qui se sent immédiatement interpellé. La sculpture Têtes de pioches en constitue un parfait exemple : composée de reproductions en plâtre de la tête en fer forgé des pioches, posées les unes sur les autres, elle fait tout d’abord penser aux squelettes de quatre humains entrelacés. Comme c’est le cas pour la majorité des œuvres présentées, le titre ajoute une touche ludique supplémentaire et donne accès au second niveau d’interprétation de l’œuvre. Têtes de pioches, au final, c’est nous ?

Du premier coup d’œil amusé, les visiteurs passent inévitablement au décodage du « message », commentaire soulignant les incongruités ou les maladresses de notre société. Ainsi, la vidéo Fumée montre une femme traversant une bucolique forêt à bicyclette. Le trajet est parcouru lentement, le paysage étant baigné des rayons du coucher du soleil. Rien d’anormal, si ce n’est que le vélo laisse échapper derrière lui une épaisse fumée blanche se dissipant peu à peu dans l’espace qui se révèle être un cimetière. Dans une entrevue accordée à Daniel Sherer, de Broin se rappelle avoir un jour remarqué un cycliste grillant une cigarette, ce qui aurait inspiré la vidéo. Le vélo en question est exposé, appuyé négligemment contre un mur. Dans le même esprit, une seconde vidéo montre trois canettes de bière se heurtant dans un mouvement de va-et-vient provoqué par l’air pulsé à travers la grille du système de ventilation sur laquelle elles ont été déposées. Le titre : Drunken Brawl.

L’artiste a recours à plusieurs stratégies de recyclage et de remodelage d’objets tirés de la vie quotidienne ou du milieu industriel. Certains projets consistent à les transformer pour leur insuffler une nouvelle signification, à leur assigner un nouvel emploi. Par exemple, la sculpture Bleed est une perceuse perforée de trous d’où jaillissent des filets d’eau, comme ceux d’une petite fontaine ; 100 watts/3 watts exhibe une ampoule incandescente éclatée d’où émerge une minuscule ampoule électrique tirant sa lumière de sa « grande sœur » branchée. D’autres encore portent plus spécifiquement sur le détournement fonctionnel de dispositifs utilisés par les autorités, les rendant inopérants ou désuets. L’imposante installation Blowback, composée de deux reproductions de canons raccordés, offre une ingénieuse métaphore à la guerre ; de son côté, Silent Screaming fait voir une sonnerie d’alarme apposée au mur et recouverte d’une cloche de verre sous vide qui, privée d’air, ne peut retentir.

Contrairement à la mouvance du posthumanisme ou des univers dystopiques du cyberpunk dans lesquels les machines domineraient l’humanité, les sculptures de Michel de Broin sont refermées sur elles-mêmes, incapables de se déprendre d’une structure paralysante et de sa force autodestructrice. Les exemples abondent : Trompe, fusil au canon enroulé sur lui-même ; Tenir sans servir c’est résister, électroaimants ne pouvant être séparés de la structure métallique tant que leurs piles ne sont pas épuisées ; Blowback et Silent Screaming.

Parcourir l’exposition Michel de Broin, c’est aussi, et peut-être surtout, appréhender un univers peuplé de machines ou de sculptures aux propriétés anthropomorphiques, au bord du gouffre sociétal et technologique. Le mot « résistance », utilisé pour décrire et qualifier l’exposition, illustre assurément l’esprit du projet artistique, de son mode de production à sa réception. Mais cette « résistance » pourrait tout aussi bien être celle des machines que celle du système… ou celle de l’artiste. 

(1) L’entrevue se trouve dans la publication accompagnant l’exposition.

MICHEL DE BROIN
Commissaire : Mark Lanctôt
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 24 mai au 2 septembre 2013