Après quatre années à la présidence de l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, Jean-Jacques Aillagon cédait en 2011 la place à Catherine Pégard. Dès le départ, cette ex-journaliste jusqu’alors conseillère à l’Élysée allait se trouver confrontée à un sérieux défi. Les choix de son prédécesseur, controversés mais aussi très médiatisés, avaient en effet attiré au château un nouveau et vaste public. Le défi, c’est avec un artiste issu de l’arte povera, mouvement italien des années 1960 prônant le retour aux matériaux modestes, Giuseppe Penone, qu’elle l’a relevé.

Quoique l’artiste soit soutenu lui aussi aujourd’hui par de grands marchands internationaux tels Marian Goodman et Gagosian, le monde de Penone, dont l’œuvre a besoin de silence pour éclore, est aux antipodes de celui d’un Koons ou d’un Murakami. Seul celui de Bernar Venet, l’abstrait au dépouillement ultime, s’en rapprocherait peut-être. Sauf que Penone interroge essentiellement la nature, concentrée ici en grande partie autour de l’arbre dont, dans le boisé qui jouxte son atelier à Turin, il étudie avec une inlassable ferveur les comportements et les surprises. Vraiment, pour lui, « l’arbre naît de l’arbre ».

Penone à Versailles comporte 17 sculptures, implantées tout au long des imposants jardins dessinés par Le Nôtre ou regroupées dans un espace latéral, et quelques autres à l’intérieur du château. Sauf pour certaines travaillées dans le marbre et explorant l’anatomie humaine, c’est l’arbre, à l’état naturel ou recréé en bronze, qui en demeure le thème dominant.

« Quelle que soit la patine que le bronze prenne, sa couleur se situe dans les tons de la végétation », explique l’artiste. Choix judicieux car, comme on peut le constater tout au long du parcours, le précieux métal épouse sans peine les aspérités de l’écorce.

À l’orée de la Grande Perspective imaginée il y a plus de trois siècles – « déjà du land art ! » selon Penone –, c’est Spazio di Luce, conjuguant intérieur d’or et surfaces de bronze, que croise en premier lieu le visiteur. Espace de lumière fait appel à six cylindres posés sur des pattes plus ou moins enchevêtrées et parfois même dotés d’antennes tels de grands insectes prêts à l’envol. Placés à la suite les uns des autres et s’étrécissant en enfilade, les cylindres forment un tout pour le regard. La perspective est ici essentielle, épousant l’espace à l’infini.

L’œuvre suivante, Tra scorza e scorza, date de 2003, donc cinq ans plus tôt. Entre l’écorce et l’écorce se compose d’une haute branche de chêne que les deux pans d’un arbre évidé entourent comme pour la protéger. La double peau coulée dans le bronze autour du chêne en bois réel crée entre les deux un rapport ambigu, stimulant la curiosité du visiteur.

Les prochaines œuvres, les Anatomies, datant à peine de 2011, bifurquent vers le marbre dont l’artiste dépouille les surfaces lisses traditionnelles pour y incruster des éléments humains : tripes, boyaux, réseaux nerveux. Penone utilise ce matériau des plus durs jusqu’à y faire ressortir, par un effleurement continu de traces, la vulnérabilité si complexe du corps. Ces masses impressionnantes tirées des carrières de Carrare servent d’intervalle entre les deux volets consacrés à l’exploration de l’arbre répartis tout au long du Grand Bassin. Ce volet se termine avec Sigillo (Le sceau), étroite bande de marbre effleurée par les nervures du matériau et posée au sol comme un rouleau de tissu.

La promenade reprend avec Albero folgorato ( L’arbre foudroyé, 2012), où Penone s’inspire de son intervention sur deux cèdres abattus lors de la grande tempête de 1999 qui n’avait pas épargné Versailles. Il y poursuit son idée de l’arbre qui naît de l’arbre, observant les solutions que va inventer la nature devant les obstacles qu’elle rencontre.

Elle est complétée par Le Foglie delle radici (Les feuilles des racines, 2012), œuvre constituée d’un arbre de bronze dont les branches nettoyées de leurs feuilles sont tournées vers le sol, et dont une branche vivante croît dans la souche terreuse en hauteur.

De cet espace largement ouvert, on passe au Bosquet de l’Étoile, lieu clos où sont réparties sept sculptures que l’on peut embrasser d’un seul regard. La première s’intitule Elevazione, mélange de bronze et d’arbres dont les racines écartées reposent à quelques mètres au-dessus de la pelouse, projetant le corps de l’arbre comme s’il flottait dans l’air, le tout évoquant non sans humour une danseuse faisant le grand écart.

Quatre des six autres, Ideas de piedra, allant de 2010 à 2012, unissent bronze, pierres du fleuve et bois tels cerisier ou orme, à la recherche d’un équilibre visuel. Les deux dernières sont même intitulées In bilico (En équilibre) et Funambulo-Quercia (Équilibriste-Chêne), insistant sur la préoccupation constante de l’artiste soucieux d’harmonie.

La visite se termine par les trois œuvres présentées au château, où un Arbre porte, suivi de deux variantes autour de Respirer l’ombre, accueille le visiteur.

L’UNIVERS PENONE

On peut vraiment parler chez Penone d’une recherche au-delà des apparences. On se rapproche ici de la métaphysique, au sens premier du mot, c’est-à-dire allant au-delà de la réalité immédiatement perceptible. Ainsi explique-t-il : « À propos de matière, le bronze donne une impression parfois presque mimétique avec l’arbre réel. Il faut aller jusqu’à toucher la sculpture pour s’apercevoir que ce n’est pas un vrai arbre. » Le travail de Penone s’élabore donc vers la recherche de sens avant même la préoccupation plastique, si exigeante soit-elle. Par ailleurs, l’habitude prise tôt de ne jamais miser sur l’aspect séduisant des matériaux explique la réceptivité du visiteur devenu sensible à l’intention cachée derrière l’image, envers cette quête que l’on peut appeler d’intériorisation. À la théâtralité d’un Koons, d’un Mirakami ou d’une Vasconcelos a donc succédé en 2013 la démarche d’un artiste privilégiant la pensée comme élément.

Rompant avec l’alternance créateur étranger – créateur français privilégiée jusqu’ici, la prochaine exposition, qui aura lieu du 17 juin au 2 novembre 2014, sera consacrée au sculpteur minimaliste coréen Lee Ufan.

PENONE À VERSAILLES Château de Versailles
Du 11 juin au 31 octobre 2013