16 dessins au graphite, 16 natures mortes. L’ensemble est beau, doux, simple aussi, discret, presque effacé. Effacé comme le serait l’intimité de quelqu’un qu’on a peu connu, d’une personne croisée, qui n’aurait été que de passage.

Dans chacun des dessins, on voit quelques objets sur une surface indéfinie, face à un mur qui ferme l’espace. Ces objets sont petits ; pour la plupart, de ceux qu’on transporte sur soi : clés, pièces de monnaie et porte-monnaie, une boîte d’allumettes, une paire de lunettes fumées, un gobelet. Comme s’il s’agissait des quelques possessions d’un voyageur qui se serait vidé les poches en entrant dans une chambre louée. La lumière est diffuse et une sorte de voile flotte entre cette scène et le spectateur, une fine poussière (celle du temps, de l’oubli ?), qui arrondit les angles et adoucit les lignes.

Interrogé sur la signification de cette série, l’artiste confie qu’il lui est difficile de répondre : « J’ai toujours utilisé le dessin et la peinture, non pas pour illustrer certaines idées, mais plutôt pour les découvrir. Pour moi, mes récents dessins sont des méditations sur ma propre existence, mes états émotifs ou intellectuels. Il y a toujours eu une aspiration métaphysique présente dans tout mon travail ; ce qui veut dire que j’utilise les objets pour parler de l’esprit. Éventuellement, le thème de la pauvreté, ou d’un certain dénuement matériel, a pris le dessus sur l’idée de départ, qui concernait l’expérience du voyageur. »

En effet, si quelque chose de réconfortant et de féminin se dégage de certains dessins, comme de Soap and Water, avec ses motifs ornementaux et ses lignes tout en courbes, les quatre derniers dessins prennent une tonalité plus austère. Les objets perdent de leur pittoresque et de leur charme : capsule de bière, portefeuille usé, chandelle à réchaud, bouteille de comprimés ou de shampooing en plastique…

Le thème de la pauvreté n’est pas nouveau dans l’œuvre de Craig Hood. De 2009 à 2013 environ, il a travaillé au projet Blue River, un ensemble de dessins et d’huiles représentant des paysages avec figures. Le même thème y est récurrent. Il se manifeste par la présence de clochards ou, dans le cas de Wounded Men, d’ex-soldats amputés. Ces personnages semblent vivre dans des cabanes de fortune, près d’une rivière ou d’un plan d’eau. L’espace est épais d’un brouillard qui, comme dans les récentes natures mortes, voile la scène et efface les formes. Petites dans tout ce néant brumeux, les figures humaines s’y trouvent comme perdues, isolées du monde, peut-être noyées dans l’oubli ou l’indifférence. La pauvreté décrite n’est donc pas simplement matérielle, mais aussi existentielle : c’est le monde qui se refuse à ces pauvres hommes, leur existence elle-même qui est en question, qui hésite au bord du néant.

Hood voit dans ce thème « une critique du matérialisme ambiant, et peut-être aussi une méditation sur le thème de l’oubli ». Comme le brouillard qui voile ses œuvres, le sujet de la pauvreté relève d’une mise à distance de l’univers matériel et, du même coup, de la société maté­rialiste contemporaine. L’artiste avoue d’ailleurs éprouver un malaise à l’idée d’être lui-même un producteur d’objets et il voit un paradoxe entre son propos et la matérialité des œuvres d’art. Peut-être est-ce ce qui explique que le dessin comme la peinture, chez lui, semblent hésiter entre montrer, et s’effacer soi-même ? La facture de ses œuvres, très lisse, sans marques expressives, s’inscrit alors de façon parfaitement cohérente dans l’univers émotif et philosophique que l’artiste élabore.

Mais à une certaine austérité de la forme, à la simplicité, voire la pauvreté délibérée du sujet, et surtout des derniers dessins, répond une grande délicatesse d’exécution, un rendu fin et, j’aurais envie de dire, amoureux. Ces objets tout simples, banals, deviennent effectivement semi-précieux par le traitement attentif, presque tendre, que leur accorde l’artiste. On pourrait voir un éloge de l’ordinaire dans ces natures mortes. Mais d’une façon plus large, on pourrait aussi y deviner une tendresse et une empathie pour les hommes, eux qui, tôt ou tard, se retrouvent dénudés de leurs artifices, soient-ils intellectuels ou matériels, devant la réalité de la vie qui passe. 

CRAIG HOOD SEMI-PRECIOUS THINGS
Galerie Beaux-arts des Amériques, Montréal
Du 19 juin au 6 septembre 2014