Par bien des aspects, l’exposition rétrospective consacrée à Don McCullin, photographe de guerre, se présente comme une traversée des malheurs du monde échelonnés sur 50 ans, mais les clichés de McCullin surmontent aussi l’horreur.

Février 1968. Hué, au Vietnam. Traumatisé, un Marine américain attend son évacuation. « L’homme était au bout du rouleau. Il était assis dans un coin, isolé du reste de son unité », se souvient aujourd’hui le photographe britannique Don McCullin.

Les yeux hagards du soldat contemplent le vide. L’intensité de la scène repose en partie sur le calme étrange qui saisit le Marine. On ne voit ici ni opération guerrière, ni carnage, ni exécution sommaire. Pourtant, cette photo est devenue l’une des images les plus célèbres sur la guerre du Vietnam.

« Avec ces gars-là, durant l’offensive du Têt, je dormais sous les tables dans des conditions indescriptibles », poursuit McCullin. À l’ouverture de la rétrospective que lui consacre le Musée des beaux-arts du Canada, Don McCullin s’est prêté pour la presse au rituel de la visite guidée.

L’exposition réunit 134 tirages en noir et blanc. McCullin est l’un des « grands » du photojournalisme de guerre. À son crédit : Berlin, le mur et la guerre froide en 1961. Chypre. Le Congo. Le Biafra. Le Bangladesh. La guerre des Six Jours. L’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968. Le bourbier vietnamien durant les années 1960-1970. L’Irlande du Nord durant les années 1960 et 1980. Le Cambodge en 1975. Le Salvador durant les années 1980. Le Liban. La Palestine… jusqu’à la Syrie, dont il revient, à 78 ans, pour un reportage publié par The Times en janvier 2013.

Guerre et paix

Sur tous ces fronts, le circuit de l’exposition est une traversée des horreurs marquant les 50 récentes années. À partir de ses premières photographies de la grisaille du East End londonien où il est né, jusqu’aux verts pâturages du Somerset où il habite aujourd’hui, l’exposition se lit comme un journal intime.

Au fil de la visite, les propos de McCullin trahissent des séquelles qui le hantent toujours. Comme pour empêcher certaines blessures de se rouvrir, ses dernières images montrent la campagne lumineuse et paisible du Somerset. Loin de toute violence, des grands formats développés au platine représentent, vêtus de leurs ornements d’apparat, les hommes de la tribu Surma en Éthiopie ou les ruines de Palmyre. Elles aussi intemporelles, les sources du Gange, des vues bucoliques d’Écosse ou les traces du mur d’Hadrien émergeant de la campagne anglaise affichent une grande sérénité.

La qualité et la richesse du travail en chambre noire est remarquable. Rebelle au numérique, McCullin développe toujours ses clichés lui-même.

Ses premières photos s’attachent à la misère et à la fracture sociale de l’Angleterre de l’après-guerre. En 1958, une bande de mauvais garçons, les Guv’nors, pose pour lui à la façon de vedettes rock dans un immeuble en ruine. « Nous avions grandi dans le même quartier. » Peu de temps après, les Guv’nors sont accusés du meurtre d’un bobby londonien. Le cliché qu’il vend à l’Observer lui sert de Sésame pour entrer au journal.

Moutons menés à l’abattoir dans le smog du petit matin, cheminées des hauts fourneaux, chômeurs se disputant le charbon, les photos de McCullin évoquent alors celles d’un autre grand photographe anglais, Bill Brandt. Impressionné par le jeu subtil d’ombre et de lumière qui caractérise l’œuvre de ce photographe, McCullin en fait son modèle. Dans des rues lugubres, des sans-abri portent le masque de la survie. Ces images provoquent l’indignation. Elles sont empreintes d’un sentiment qui a toujours guidé McCullin : la compassion.

À Chypre où l’envoie l’Observer en 1964, la photographie d’une femme turque pleurant son mari remporte un World Press Photo of the Year Award. McCullin est lancé. Une autre photo représente à Limassol un groupe de femmes veillant la dépouille d’un berger. « On venait tout juste d’apporter à l’une de ces femmes un suaire en toile avec le corps de son mari victime des balles grecques. Curieusement, 25 ans après, le jour du mariage de mon fils, la scène m’est revenue. »

À côté d’autres photos, McCullin raconte comment il a frôlé la mort. Il évoque la mémoire de son camarade, le photographe français Gilles Caron, tué à ses côtés au Cambodge.

La famine au Biafra

Proches de l’humain, ses images insistent sur les conséquences de la guerre. Au Biafra, sa photo du gamin albinos serrant de ses doigts squelettiques une boîte de conserve vide a aussi fait le tour du monde. McCullin dit ne pas rechercher le scoop à tout prix. « Au Biafra, on m’a conduit devant une femme si mal en point que j’ai cru qu’elle allait mourir sous mes yeux. Mon premier réflexe a été de la faire transporter vers un dispensaire de fortune. Je n’ai même pas pensé à la photographier. »

McCullin veut avant tout mobiliser les esprits. Une femme lui a confié un jour devoir sa vocation de médecin humanitaire à ses images des populations affamées du Biafra. « C’est le plus grand compliment que j’ai reçu. » Craignant les répercussions de ses photos sur l’opinion publique, les autorités britanniques lui interdisent de couvrir la guerre des Malouines. « J’ai aussi pris cela comme un compliment. »

Commissaire de l’exposition et conservatrice de la collection de photographies du MBAC, Ann Thomas situe le travail de McCullin dans la tradition de photographes tels que Mathew Brady, qui a témoigné de la guerre de Sécession au XIXe siècle, ou Robert Cappa. « Il rejoint aussi l’expression visionnaire d’artistes comme Otto Dix ou Goya. Ceux-ci, en montrant la folie de la guerre, ont révélé l’humain et ses abysses. » McCullin pour sa part récuse l’étiquette d’artiste. Il admet cependant une dette envers les estampes de Goya : « Même dans les pires moments, dit-il, je m’efforce de composer au mieux mes photos, un peu comme le ferait un peintre. »

McCullin se défend de vampiriser ceux qu’il a photographiés. Selon lui, photographier la guerre engage une responsabilité morale. « Je veux que les gens regardent mes photos. Je ne veux pas qu’ils les rejettent parce qu’ils les jugent insoutenables. Il ne s’agit pas de choquer, mais bien d’amener à une prise de conscience. 

DON MCCULLIN. RÉTROSPECTIVE
Commissaire : Ann Thomas
Musée des beaux-arts du Canada
Du 1er février au 14 avril 2013