Émilie Granjon – Quel est votre parcours ?

Antoine Ertaskiran – Je suis né à Montréal, mais j’ai grandi en France. Mon père avait une galerie spécialisée en icônes russes et grecques et en art byzantin. Nous avons déménagé à Montréal lorsque j’avais 15 ans. J’ai fait des études en histoire de l’art à l’Université de Montréal, tout en travaillant avec mon père. Pendant quelques années, nous avions une galerie sur Sherbrooke, où nous représentions quelques artistes contemporains. Nous faisions beaucoup de ventes sur le marché secondaire. Pendant ce temps, je continuais à développer mon goût pour l’art contemporain.

ÉG : Quels sont les désirs et les choix qui ont motivé l’ouverture de votre galerie ?

AE : Initialement, je voulais ouvrir une petite galerie et présenter quelques expositions par année. Il était important pour moi de trouver un lieu qui me permette de présenter toute forme d’art contemporain – peinture, sculpture, installation, vidéo ; je préférais ne pas avoir de restriction d’espace. Lorsque j’ai trouvé le lieu où je suis en ce moment, le projet a grandi. J’ai loué l’espace en août 2011, mais la galerie a ouvert seulement en septembre 2012. Je voulais prendre mon temps. Outre le choix de l’espace, j’ai opté pour un quartier en plein essor ayant des pôles artistiques intéressants – l’Arsenal est juste à côté ; la Parisian Laundry et la Fonderie Darling ne sont pas loin non plus.

ÉG : Quelle est votre vision de l’art actuel ?

AE : Un art détaché des anciennes pratiques artistiques, original et qui se réinvente continuellement. Par rapport à la galerie, mes choix d’artistes se font par coups de cœur. J’aime beaucoup les artistes multidisciplinaires, qui pratiquent donc autant le dessin, la peinture, le design graphique, l’installation, la photo que la vidéo, mais aussi ceux qui travaillent avec minutie et qui interviennent à chaque étape de la création… La qualité du travail est primordiale. Beaucoup d’artistes représentés par la galerie sont très engagés : ils parlent de politique, de droits de la femme, de la guerre et portent même un regard sur les pratiques artistiques. On dit souvent que l’art est un reflet de la société. Je suis aussi très attiré par des productions qui déstabilisent, interpellent et questionnent.

ÉG : Qu’est-ce que cela prend pour ouvrir une galerie ?

AE : La passion de l’art est importante, mais elle ne suffit pas. Il faut nécessairement de l’argent et une sérieuse expérience dans le milieu du marché de l’art. Avoir des connaissances en gestion est indispensable pour démarrer une entreprise : on doit avoir un plan d’affaires, savoir s’adapter à toutes les situations et pouvoir gérer du personnel. Au-delà de cela, il faut avoir une vision à long terme. Le succès n’est pas garanti et peut prendre du temps, il faut être persévérant.

ÉG : Comment définiriez-vous le milieu de l’art montréalais versus celui de Toronto et de New York ?

AE : Chaque ville a son marché, les goûts changent, les traditions artistiques sont différentes. New York est le point culminant de l’art contemporain ; il y a une demande énorme, mais aussi une offre considérable – je me souviens avoir lu quelque part qu’environ 10 000 artistes vivent et travaillent à New York. C’est donc difficile de comparer avec Montréal. Ici, il y a beaucoup de galeries, mais proportionnellement, peu de clients et de connaisseurs. L’engouement pour l’art reste plus discret qu’à Toronto, New York, Paris ou Londres. À Toronto, il me semble qu’il y a plus d’actions sur le plan du marketing pour motiver les gens à aller visiter les musées et les galeries. Par conséquent, le marché est plus dynamique. Cela dit, les gens qui s’intéressent à l’art au Québec sont des passionnés, et on le ressent nettement. L’une de nos missions est aussi de sensibiliser notre public et de l’inciter à visiter de manière régulière les musées et les galeries.

ÉG : Quelles sont les qualités que doit avoir un directeur de galerie aujourd’hui ?

AE : En premier lieu, on ne peut faire ce métier sans avoir une vive passion pour les arts visuels. L’expérience et les connaissances sont la clé, car elles permettent une juste appréciation de l’art et du potentiel d’un artiste. Il est indispensable d’avoir des connaissances en affaires et en marketing, ainsi qu’une capacité à développer des relations d’affaires durables avec des clients et des artistes. Dans mon cas, la transmission est l’une de mes raisons de vivre, que ce soit auprès de clients ou d’un jeune public, j’adore éveiller les curiosités et faire naître de nouvelles passions.

ÉG : Quelles sont les qualités que vous recherchez en tant que directeur chez les artistes que vous représentez ?

AE : La relation entre galeriste et artiste est passionnelle, tumultueuse, humaine, au-delà d’une relation professionnelle classique. L’artiste a besoin de se sentir accompagné, compris et soutenu, c’est une relation très affective, mais de mon côté, j’attends aussi de mes artistes une grande rigueur de travail, de la pertinence, de l’originalité et une communication facile. 

Galerie Antoine Ertaskiran
1892, rue Payette, Montréal
www.galerieantoineertaskiran.com