Bien connue pour ses sculptures/installations en mouvement prônant une esthétique de la contrainte, Joëlle Morosoli propose, pour la première fois, des œuvres dont la structure est fixe. Impossible ? Tel est du moins le titre de son exposition.

Depuis plus de vingt ans, si l’on excepte ses réalisations d’art intégré à l’architecture, Joëlle Morosoli conçoit et réalise des sculptures et des installations toutes dotées de mouvement. La portée de leur propos (essentiellement une réflexion sur l’esthétique de la violence) chevillée au raffinement et à l’originalité de leur construction est à l’origine de la notoriété internationale de l’artiste.

Et voici que, pour la première fois, Joëlle Morosoli met sur pied une exposition constituée de sculptures fixes. Dérogerait-elle ainsi aux lignes créatrices qui jusque-là ont établi son champ de recherche distinctif? Pas vraiment.

L’artiste rappelle que ses productions sont attachées à l’expression, par le truchement du mouvement, des notions de contraintes matérielles (à commencer par l’élaboration technique de ses œuvres marquées par un souci d’élégance et de fluidité) et les notions psychologiques qu’elles véhiculent : les angoisses, les interdits, les oppressions. À observer l’exposition Impossible, il est clair que la contrainte est le sujet des quatre pièces qui la composent. Dans chaque cas, un dispositif constitué d’échelles de bois entrave la mobilité d’un personnage qu’elles emprisonnent. Mais le tout est fixe.

Des contraintes, toujours des contraintes

Avant d’aborder la symbolique de ces installations, il convient de revenir sur l’idée que Joëlle Morosoli se fait de l’art de la sculpture, perçu par elle en tant que «moyen de traduire le rapport humain à l’espace et au temps ». De l’Antiquité à l’ère moderne, elle constate que l’œuvre sculptée souffre de ne pas être animée. De Praxitèle à David Altmejd, le sculpteur pallie ce manque par toutes sortes de subterfuges. Par exemple, il capte le geste de ses figures de telle sorte que le spectateur en imagine le prolongement, il introduit des effets de déséquilibre, il met ses formes et ses structures en tension, il insère des déformations subtiles ou exagérées, il campe des postures théâtrales, il juxtapose des éléments qui construisent une suite narrative, etc. Mais surtout, remarque Joëlle Morosoli, la sculpture fixe entraîne l’observateur à bouger, à déambuler autour d’elle. En revanche, la
sculpture mobile provoque l’arrêt de celle ou de celui dont elle appelle l’attention.

À la suite de Rodin, au début et tout au long de la première moitié du XXe siècle, beaucoup de sculpteurs se sont ingéniés à produire des œuvres dont les contorsions ou les formes circulaires chantournées ou spiralées invitent l’œil à en suivre les contours et, par là, à souscrire à l’illusion (c’est une convention) du mouvement.

Cette attitude sera contredite au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Ainsi, les mobiles d’un Calder et, plus encore, les montages motorisés d’un Tinguely se posent comme des discours critiques de la sculpture. Même s’ils traitent parfois des sujets graves, comme la mort, ils procèdent selon un mode souvent ludique, léger, voire ironique. C’est le ton parfois moqueur qu’adopte aussi Joëlle Morosoli pour traduire des sensations d’anxiété et de peur. Elle extériorise la violence qui accompagne le passage de l’état statique à la mise en mouvement, le passage de la parole aux gestes à partir de situations où elle rend perceptible la conjugaison de forces qui s’érigent comme d’irrépressibles contraintes.

La force de l’inertie

Pièces/Pièges (1991), Le sablier de l’angoisse (1998), Allégorie de la contrainte (2000), Traquenard (2013): il suffit d’énumérer quelques-uns des titres d’expositions d’installations en mouvement montées par Joëlle Morosoli au fil des années pour ne pas douter des intentions de l’artiste. Or, c’est exactement le même projet, rendre « proprioceptive la contrainte », qui sous-tend les quatre installations Impossible I, II, III et IV. La différence par rapport aux sculptures en mouvement tient au fait que l’artiste tire parti non de la dynamique de ses installations, mais de la force d’inertie dont elles attestent l’effet oppressif. Dans tous les cas, deux échelles se concertent pour emprisonner un personnage. Elles sont imbriquées de telle sorte que, non seulement elles l’empêchent de gravir les barreaux et entravent son ascension, mais qu’elles le paralysent et qu’il meurt comme une mouche prise dans une toile d’araignée.

En s’emparant de l’échelle, objet communément perçu comme un instrument de promotion ou de libération, l’artiste en contrarie l’image symbolique. Pire encore, le personnage piégé est recouvert d’éclisses de bois qui lui donnent l’aspect d’un ange. C’est donc un envoyé du ciel que les échelles asphyxient ; elles rendent impossible son retour au paradis céleste. Libre à qui le veut de voir dans ces mises en scène des autoportraits de l’artiste en ange opprimé ou bien une perception de la condition humaine
assimilable à celle d’un Prométhée puni pour avoir volé le feu aux dieux. Le supplice est d’autant plus cruel qu’il provient d’objets d’apparence fragile, en bois léger, que nul ne soupçonnerait d’une telle férocité.

La douceur des bas-reliefs bleus

Joëlle Morosoli n’aura pas longtemps délaissé le mouvement qui caractérise si bien ses sculptures/installations puisqu’elle vient de produire une série de treize bas-reliefs animés regroupés sous le titre Nuages. Ils sont de dimensions modestes: de l’ordre de 70 x 35 cm avec une profondeur de 7 cm pour y loger, comme dans un boîtier, un moteur électrique silencieux. Les éléments qui constituent ces œuvres s’inscrivent dans les contours d’un nuage, libres ou bien arrimés sur un support rectangulaire. Ils sont destinés à être accrochés au mur comme un tableau. Mais, contrairement à un dessin ou à une peinture, les formes sont en plexiglas et tournent sur elles-mêmes, composant des figures abstraites, des visages ou des paysages. Obstinément, ils se font et se défont.

Les pièces de ces « murales », comme les appelle Joëlle Morosoli, tournent lentement comme une séquence de cinéma filmée au ralenti. Avec grâce, elles voilent et dévoilent un arrière-plan de formes abstraites ou d’espaces reconnaissables. Dans des gammes de bleu, parfois fluorescent, certaines pièces de plexiglas offrent un chatoiement de plumes (Souffle,
Course des nuages), d’autres étalent un visage qui se décompose et se recompose sans vraiment faire peur (Brouillard, Rafale). Une fois encore, Joëlle Morosoli choisit le mode de la fantaisie ludique pour traquer les limites de l’art de la sculpture. Avec la connivence, bien sûr, de ses spectateurs et le sourire en prime.

JOËLLE MOROSOLI IMPOSSIBLE
Chapelle historique du Bon-Pasteur, Montréal
Du 1er octobre au 1er novembre 2015