Les géométries irrégulières d’Oscar Varèse
Purement formelles et soigneusement architecturées, les peintures abstraites d’Oscar Varèse se situent dans la continuité des démarches artistiques plurielles et hybrides qui caractérisent l’art abstrait actuel au Québec.
Dans des compositions qui allient un concept métaphorique immatériel – celui des « murs fantômes » – à un langage formaliste – celui d’une structure linéaire apparemment dépourvue de toute connotation référentielle –, Oscar Varèse érige un vocabulaire plastique singulier dont la matérialité picturale s’exprime dans un registre chromatique très réduit. Chez lui, la couleur épouse des géométries aux formes épurées, traitées en aplat, contrastant avec les différents plans juxtaposés qu’elle ordonne. Cette quête d’une pureté formelle ralliée aux lignes très fines et droites qui se partagent l’espace en plusieurs plans plus ou moins égaux a commencé chez Oscar Varèse en 2001. De toutes ces composantes formelles, la ligne tracée en diagonale à différentes hauteurs de la surface de l’œuvre constitue l’élément le plus récurrent de son langage plastique, une sorte de leitmotiv ; elle sculpte le tableau autant de l’intérieur en accentuant sa bidimensionnalité qu’en dehors de sa spatialité physique, s’inscrivant dans des polygones irréguliers convexes et concaves qui se démarquent des habituels rectangles, carrés ou losanges. De plus, ces espaces non conventionnels ne sont délimités par aucun encadrement. Accrochés ainsi les uns à côté des autres, les tableaux battent la mesure d’un rythme bien calculé et créent des interstices géométriquement originaux.
Ces libertés ne sont pas nouvelles ; elles tirent néanmoins leur pertinence du fait que l’artiste s’approprie l’idée du mur réel dans son tableau comme étant le support même de son œuvre. Mais attention : pas n’importe quel mur ! Selon Oscar Varèse, il s’agit plutôt de ces murs qui subsistent même après leur démolition, en tant que traces d’une existence passée immuable qui ressuscite dans le monde réel et, par conséquent, dans l’espace physique de l’exposition. Ainsi, par l’entremise des matériaux de construction qui servent à ériger les vrais murs des maisons (fibre de verre, plâtre, sable, etc.), l’artiste souhaite donner une réalité plus tangible à l’œuvre d’art et un espace pictural très matiériste.
Pour lui, ces matériaux sont des matériaux nobles ; ils reposent sur les panneaux de bois que tout récemment il a intégrés dans la confection de ses tableaux, reflétant le mur lui-même transposé en objet artistique. Par extension, on peut voir dans cette référence au mur une translocation des murs de la galerie où sont exposées ces œuvres dans le champ même du tableau physique sur lequel courent couleurs, lignes, plans, etc. Sa peinture, empreinte de la tradition minimaliste états-unienne des années 1970, joue sur l’irrégularité des formes géométriques, la diagonale qui suscite un effet de mouvement, le contre-balancement des plans juxtaposés et le champ coloré qui ramène l’idée de trace ou de mémoire collective. La forme du tableau impose donc une certaine couleur. Malgré une application très lisse des couleurs en surface, l’artiste dévoile ce qui se trouve en dessous de sa peinture en faisant notamment appel aux accidents de la matière et au grattage des pigments, qui trahissent son geste artistique. Sans la moindre prétention, l’artiste traite ses couleurs comme des équivalents de différents types d’odeurs ; elles restent imprégnées dans la mémoire de celui qui les regarde en lui rappelant certains événements. S’il n’y a pas plus de deux couleurs dans un tableau de Varèse, c’est pour insister sur l’idée de contraste, précisément sur la binarité qui régit notre monde. Car du point de vue formel, ce qui semble intéresser l’artiste, c’est le travail de proportions dans l’espace, une sorte de symétrie, d’équilibre architectural et architecturé des couleurs dans un monde chaotique, en constant mouvement et empreint de perpétuels et irréversibles changements.
L’installation picturale intitulée Flash Back occupe une place centrale dans l’exposition de Varèse. Elle suggère au regardeur l’idée d’un passé qui revient dans le présent de celui qui regarde cette œuvre montée par morceaux géométriquement coupés à la verticale et espacés par le mur réel de la galerie sur lequel elle repose. Une fois de plus, l’artiste intègre dans son travail pictural le mur physique de l’espace de l’exposition comme élément sculpturant de sa création jusqu’au point où le regardeur ne fait plus de distinction entre le mur et l’œuvre elle-même.
OSCAR VARÈSE FANTÔME MUR
Galerie Roger Bellemare et Galerie Christian Lambert, Montréal
Du 21 septembre au 2 novembre 2013