J’ai connu Marc-Antoine K. Phaneuf dès le début de sa carrière. Fraîchement diplômé en histoire de l’art de l’UQAM, il œuvrait alors en duo avec Jocelyn Guitard. Je devais écrire un texte sur l’irrévérence de leur collectif, les QQistes, et leur manière absurde de remettre en question certains dogmes ou pratiques de l’histoire de l’art1. Le détournement de citations d’artistes et de théoriciens connus m’intéressait à ce moment, tout comme le happening déjanté qui revisitait le concept du vernissage2. Dans les deux cas, le duo remettait en question les systèmes de légitimation des artistes dans lesquels nous gravitons (historiens de l’art, critiques, public, etc.). Poursuivant sa carrière en solo, Marc-Antoine s’intéresse à certains archétypes de la culture populaire.

Dans ce nouveau paradigme de création, l’artiste se positionne en tant que collectionneur archiviste. Il accumule des matières textuelles (citations, aphorismes, revues à potins, trophées, livres de recettes, menus de restaurants, etc.) qui se déploient au sein de dispositifs donnant accès à ses intérêts. Il touche autant à la poutine qu’aux potins sur l’affaire Nathalie Simard ; il collectionne et présente, entre autres, des objets arborant le drapeau québécois, des macarons très convoités dans les années 1980 ou des romans Harlequin. Tous ces corpus d’objets prennent sens dans l’accumulation et leur disposition dans les lieux de diffusion. C’est le cas, par exemple, de sa série Les petites annonces3. Marc-Antoine en a ramassé plusieurs centaines, trouvées à travers le Québec. Les textes ne sont pas de lui, mais il se les approprie en les sortant de leurs contextes d’origine. Tous ces bouts de vies rassemblés (recherche du grand amour, animaux perdus, offres de service, articles à vendre, etc.) forment une matière textuelle fascinante à observer.

Parallèlement à sa pratique artistique, il entre dans le monde de la littérature et développe une carrière d’écrivain qui puise aux mêmes sources. Sur la quatrième de couverture de son premier livre de poésie, Fashionably Tales : une épopée des plus brillants exploits (2007)4, on lit : « Ces poèmes d’aventures de bas étage racontent le monde en pillant l’infini répertoire de la culture populaire. » Selon moi, ces deux axes de création existent comme des vases communicants. Sa pratique littéraire fait écho à son travail visuel, s’infiltre, et ces deux pôles se fondent l’un dans l’autre. Le texte se construit autour de listes qu’il organise par des systèmes de classement selon le genre d’objets ou de sujets. Il bascule autant entre les références savantes de l’histoire de l’art (œuvres et artistes), que populaires et mondaines (hockey, potins des stars de la musique, de la télévision ou du milieu littéraire et artistique). La matière qu’il regroupe amène une part de performatif dans l’écriture et dans la lecture/visite de ces textes/objets. Par des all over qui couvrent les murs des lieux de diffusion qui l’accueillent, il invite le public à vivre physiquement le texte par une déambulation dans l’espace, nécessaire pour accéder au contenu.

Maison de la littérature, Québec. Photo : Samuel St-Onge
Maison de la littérature, Québec. Photo : Samuel St-Onge
Maison de la littérature, Québec. Photo : Samuel St-Onge
Maison de la littérature, Québec. Photo : Samuel St-Onge

L’exposition Euphorie-propagande présentée à la Galerie UQO (2018) laisse tout l’espace au texte. Les mots peints directement sur les murs témoignent de la part performative de cette intervention. Les dégoulinures mettent en lumière la gestuelle de l’artiste et marquent un lien avec l’expressionnisme abstrait. Dans ce texte-manifeste, Marc-Antoine balance des phrases prescriptives faisant figure d’autorité (« on ne se prend pas pour un Molinari sur l’acide ») ou s’adressant directement au public en finale («on ne lit pas le texte écrit sur les murs. On sort »). Cette manière frontale d’aborder le public n’est possible que par la mise en scène du texte. La même année, il se dévoile avec son Autoportrait en zigzag dans les méandres des collections patrimoniales5 : vingt-cinq objets6 sont disposés dans des vitrines avec cartels, et un texte autobiographique est projeté au mur. Ce dispositif imposait au visiteur de tourner en rond, entre et autour des vitrines, afin de consulter les éléments biographiques, les notes et les objets. Ce que je retiens également du texte, c’est la somme astronomique de notes présentées à la toute fin. Le visiteur devait prendre une pause et se déplacer vers cette section de références s’il voulait accéder aux compléments d’information sur l’artiste. Ce procédé rendait impossible une lecture en continu pour toute personne curieuse d’en savoir davantage. Une forme d’engagement était donc requise de la part du visiteur pour saisir l’entièreté du propos.

C’est dans ce même mode opératoire que Marc-Antoine K. Phaneuf et l’écrivain Charles Sagalane ont proposé Ma collection d’exposition au Centre Regart à Lévis (2019). Le texte, rédigé à deux et publié antérieurement dans la revue Estuaire (2016), se déployait sur tous les murs de la salle. Pour en lire l’entièreté, il fallait suivre le fil des mots et se déplacer dans cet espace en forme de « L ». Durant la lecture, on croisait des objets disposés le long des murs faisant écho aux mots peints, comme en exergue. On pouvait voir des cuillères de collection, des cartes de hockey ou religieuses, un sac du PFK, des sachets de thé, des sacs de riz, des badges, etc. Dans ce foisonnement de mots et d’objets disparates, la touche de Marc-Antoine était reconnaissable, mais la présence plus discrète de Sagalane venait ajouter une autre histoire, en parallèle.

Marc-Antoine K. Phaneuf, Conspirations à gogo (2022) Dans le cadre de Manif d’art 10, la biennale de Québec Maison de la littérature, Québec. Photo : Samuel St-Onge
Marc-Antoine K. Phaneuf, Conspirations à gogo (2022) Dans le cadre de Manif d’art 10, la biennale de Québec, Maison de la littérature, Québec. Photo : Samuel St-Onge
Maison de la littérature, Québec Photo : Samuel St-Onge
Maison de la littérature, Québec. Photo : Samuel St-Onge

Depuis le début de sa carrière, presque tous les projets de Marc-Antoine se développent autour d’éléments textuels qu’il a écrits ou glanés au fil du temps. Cette manière de collectionner du texte se reflète également dans les objets qu’il rassemble. La mise en place de systèmes de classement lui permet de construire une trame narrative à laquelle le visiteur/lecteur peut accéder. Selon moi, l’historien de l’art n’est jamais loin et il me semble évident qu’il traite ses collections comme un commissaire met en relation des objets pour les considérer d’un nouvel œil. Ainsi, l’artiste, témoin privilégié de son époque, révèle le potentiel de ce qui existe déjà et des possibles agencements poétiques à travers ses écrits et ses assemblages visuels. Comme le veut le dicton « Les paroles s’envolent, les écrits restent », il m’apparaît indéniable que Marc-Antoine K. Phaneuf laissera sa marque dans le paysage artistique québécois. 

« Ceci n’est pas une plaisanterie : l’irrévérence chez les QQistes », esse art + opinions, no 56 (hiver 2006).

2 Balade au cœur de la Vérité de l’art (3e Manif d’art de Québec, printemps 2005) et Le luxe du vernissage (Centre d’art Amherst à Montréal, automne 2005).

3 Présentée au Centre CLARK en 2009.

4 Il a publié trois autres livres : Téléthons de la Grande Surface (inventaire catégorique) (2008) ; Cavalcade en cyclorama (2013) ; et Carrousel encyclopédique des grandes vérités de la vie moderne (2020).

5 La BAnQ souhaitait souligner le 50e anniversaire du dépôt légal et montrer l’ampleur de sa collection. Cette exposition regroupait également les interventions de Moridja Kitenge Banza et de Sébastien Cliche.

6 Notamment des cartes postales, des livres de recettes, un album du groupe québécois Madame, une sérigraphie de Serge Lemoyne, de même qu’un parasitage du dispositif avec un autocollant des QQistes : « L’art est mort, vive le lard ! ».