À la manière d’un sculpteur, Patrick Cady dégage du bloc de pierre auquel on pourrait métaphoriquement comparer son livre une figure, la sienne. Elle se définit par rapport à celles de ses correspondants, qu’ils soient morts ou vivants. Car son ouvrage se compose d’une dizaine de lettres. Leurs destinataires s’appellent Séraphine de Senlis, William Turner, Barnabus, Arnasungaaq, Camille Claudel, Alberto Giacometti, Sigmund Freud et Vahram Altounian, un survivant du génocide arménien.

Trois de ses missives s’adressent à des artistes inuits, à l’un desquels Patrick Cady attribue même le mérite de l’avoir initié à la sculpture. Encore module-t-il cette reconnaissance en déclarant « en sculptant j’ai compris que j’avais repris le métier de mon père… » Patrick Cady est psychanalyste. Il s’est découvert une passion pour la sculpture inuit et progressivement s’est mis lui-même à tailler la pierre pour en faire surgir des visages dont les traits s’apparentent fortement à ceux qui caractérisent les œuvres de ses maîtres du Grand Nord.

Mais l’intérêt qu’offre la lecture de son essai provient autant de son titre, L’art de l’humain, que de son sous-titre, Lettres sur l’art et la psychanalyse. En effet, dès les premières pages, Patrick Cady évoque les rêves dont il rappelle qu’ils sont les matériaux sans lesquels « il n’y aurait eu ni art ni humanité […], sans lesquels aucun grand récit ni aucune civilisation n’auraient pu se déployer ». Il se trouve que les rêves sont aussi les matériaux de la psychanalyse et… de la sculpture : « Le cadeau du sculpteur, écrit-il, c’est toutes les formes rêvées auxquelles il a dû renoncer pour en laisser une appa­raître. » Il évoque ainsi l’expérience du deuil (théorie psychanalytique) qui renvoie, au contraire de la pétrification, à l’acte (sculpture) qui consiste à faire « surgir du vivant enfoui dans l’inanimé. »

Faire surgir du vivant enfoui dans l’inanimé : tel est le propos principal de l’ouvrage de Patrick Cady. Il justifie en l’occurrence ses lettres adressées aux artistes (dont Sigmund Freud fait partie) disparus. Avec Camille Claudel et Alberto Giacometti, le lien avec la sculpture se maintient. En revanche, avec Séraphine de Senlis et William Turner (qui trouve une surprenante héritière en France Jodoin1, artiste québécoise contemporaine), l’auteur s’attarde sur leur traitement pictural inventif de la lumière, voire de la couleur et des formes. Cependant, c’est le registre du rapport de l’artiste à son œuvre et, par là, le rapport personnel qu’entretient Patrick Cady avec ces artistes et certaines de leurs œuvres qui donnent leur valeur à ses lettres. En effet, à travers le cheminement de ses observations, les précautions prises pour ne pas froisser ses correspondants, la finesse des interprétations de certaines compositions, les remarques sur les éventuelles objections que pourraient soulever ces illustres artistes, Patrick Cady se fait un peu le messager des lecteurs (seraient-ils inconnus) de ses pages épistolaires dont l’écriture est empreinte d’une luminosité diaphane, somptueuse et toujours juste. Voici donc un ouvrage qui aborde l’art et sa critique d’une manière originale dans une langue limpide et, de surcroît, sur un mode fraternel en ceci que quiconque en le lisant apprendra sûrement quelque chose de nouveau sur la peinture, la sculpture et même sur la psychanalyse. Davantage encore, ce livre offre au lecteur de comprendre quelque chose sur lui-même. Il répond en cela à la raison d’être de toute œuvre d’art, car au-delà de sa valeur d’étude, l’essai de Patrick Cady se range dans la catégorie des créations littéraires. C’est pourquoi L’art de l’humain est à lire et à relire.

PATRICK CADY L’ART DE L’HUMAIN 
Lettres sur l’art et la psychanalyse
Liber, 2011, 147 pages, 10 illustrations

(1) France Jodoin est représentée à Montréal par la Galerie Beaux-Arts des Amériques.