Treize petits tableaux inédits de Fernand Toupin
La Galerie Bernard présente 13 petits tableaux inédits du peintre Fernand Toupin. Ces tableaux créés en 1992 n’ont jamais été exposés ; ils forment une série intitulée Écorces sous la neige…
Chaque œuvre originale se distingue des autres tout en s’insérant dans un ensemble harmonieux, et cela autant par les couleurs, les teintes, les matériaux que par les dimensions (12 cm sur 20 cm). Le blanc – on connaît l’importance du blanc dans l’œuvre de Toupin – est présent dans chaque tableau et occupe le tiers ou le quart de l’espace inférieur (voire la moitié pour le tableau 10). Il symbolise cette neige, que Toupin a si souvent peinte2. La couleur est façonnée presque au haut des tableaux par des éléments de la nature, choisis et prélevés au pied des arbres durant l’hiver : des plaques d’écorce d’arbres, de toutes petites branches, des feuilles de cèdre et des cailloux. « Au lieu de peindre avec un pinceau, Toupin peint avec des éléments de la nature3 ».
Délicatesse, harmonie et poésie
Dans le premier tableau de la série, l’artiste a réuni quatre plaques d’écorce, de différentes dimensions, et les a incrustées dans une pâte blanche qui ressemble (tout en étant un peu différente) à la matière de ses œuvres des années 1970 et 1980. Toutefois, en s’éloignant légèrement, on peut penser que les morceaux d’écorce, de deux teintes de brun, ont été peints au pinceau ou appliqués à la spatule. L’assemblage, très méticuleux et esthétique, donne une forme géométrique (du moins, le visiteur l’imagine). Puis, un détail attire le regard : c’est le dégradé qui se poursuit sur un papier différent gris pâle et qui adoucit le contraste entre la matière, la couleur et le blanc de la partie inférieure. Le montage évoque la poésie de l’hiver et procure une émotion délicate.
Dans le tableau 6, la matière est produite en grande partie par une plaque d’écorce qui offre du jaune et du rougeâtre, qui s’ajoutent au marron des autres tableaux. La matière blanche est plus dissimulée. Ici, Toupin a intégré des cailloux et du feuillage de cèdre, qui poursuivent le mouvement, comme le ferait l’artiste par son geste pictural.
Toupin, dans le tableau 10, a placé la couleur tout en haut, offrant alors un autre aspect spatial. Quant aux deux plaques d’écorce, elles semblent peintes au pinceau très large, dans un mouvement tout en douceur, qui n’est pas sans évoquer le deuxième tableau du Quatuor d’hiver (1981). Il est utile de rappeler ici que les saisons ont souvent sillonné l’œuvre de Toupin : Suite d’automne (1972), Plein d’été (1978), Quatuor d’hiver (1981).
Ces 13 petits tableaux ne sont pas des esquisses, mais bien des œuvres achevées. Ils constituent une série complète et sont numérotés de 1 à 13. Fernand Toupin les a réalisés, dans une courte période, en 1992, dans l’atelier de sa maison de Terrebonne, directement sur un support carton, sans croquis, ce qui est inhabituel chez lui. Ces œuvres n’ont pas été retouchées par la suite, ni reproduites en grand format. Claude Gauthier, collectionneur et ami fidèle de l’artiste, note la minutie dans ces tableaux, « la même minutie que dans les autres œuvres, parce que Toupin n’a jamais fait de compromis4 ». L’artiste n’a cependant pas eu l’occasion de les présenter. Œuvres inédites, soigneusement conservées pendant vingt ans, elles ont récemment été encadrées.
Œuvres témoins de la période de réflexion de Toupin
Cette série de petites œuvres revêt toute son importance parce qu’elle marque « la fin d’un cycle, au moment où Toupin abandonne la matière avant de reprendre la géométrie5 ». Tout de même, pour réaliser ces tableaux, « il a voulu explorer, tout en restant matiériste, tout en respectant sa période matiériste6 ». Nous savions que l’artiste s’est accordé « une période de réflexion au début des années quatre-vingt-dix [et qu’] au terme d’un temps d’arrêt de quelques années durant lesquelles il ne [s’est adonné] qu’à la réalisation de croquis et d’esquisses, il [a recommencé] à peindre en 1994 […] une série de tableaux géométriques qu’il [a exposés] à la Galerie Riverin-Arlogos7. » Cette série des 13 petits tableaux s’inscrit donc dans une période charnière entre la période matiériste (1964-1993) et le retour aux formes géométriques (1993-2001).
D’autres œuvres de 1970 et de 1984
En complément, la Galerie Bernard expose 19 œuvres sur papier dont six gouaches de la série des « coulées de couleurs » réalisées à Paris, en 1970, pour la première exposition de Fernand Toupin, à la Galerie Arnaud. Le visiteur peut également admirer 13 acryliques sur papier, de 1984, qui reprennent le concept des « coulées de couleurs » tout en produisant l’illusion de la matière par une technique de gaufrage de papier.
Ces papiers – aux couleurs vives, caractéristiques des œuvres de Toupin, et aux formes particulières – permettent de mieux comprendre son œuvre et d’établir des rapprochements avec ses tableaux. Ainsi, le rouge et le marron (gouache, 1970) se retrouveront dans les tableaux Chanteclerc (1970) ou encore Gullfoss (1984) ; ces mêmes couleurs, ainsi que les ocres et les bleus, l’inspireront toute sa vie pour des tableaux de grandes dimensions de la période matiériste et également du retour à la géométrie (Diagon, 1995).
Aussi, est-il permis de se demander si Fernand Toupin savait, en créant ces 13 petits tableaux, que le géométrique allait, de nouveau, s’imposer à lui.
(1) Louise Julien, « Les quatre saisons de Fernand Toupin », Vie des Arts, N° 222, Printemps 2011, p. 58-60.
(2) Fernand Toupin confiait à Raymond Bernatchez : « Je peins notre neige, notre foutue lumière. C’est local, mais il y a quelque chose dans tout cela qui rejoint l’universel », La Presse, dimanche 28 octobre 1990, dans le cadre de sa dernière exposition chez Bernard Desroches, à Montréal.
(3) Claude Gauthier : Entretien avec Claude Gauthier, le 26 janvier 2013, devant les œuvres inédites.
(4) Claude Gauthier, Entretien.
(5) Claude Gauthier : Le collectionneur Claude Gauthier est le seul interlocuteur de Fernand Toupin. Il a connu l’artiste dans les années 1970 et était très proche de lui. Il a eu accès à son atelier.
(6) Claude Gauthier, Entretien.
(7) Charles Bourget, « La vie et l’œuvre de Fernand Toupin », en collaboration avec François-Marc Gagnon, Marie Carani et Richard Barbeau. Fernand Toupin. L’arpenteur des grands espaces. Peintures 1953-2000. Catalogue d’exposition du 22 juin au 26 octobre 2003 au Musée du Bas-Saint-Laurent (Rivière-du-Loup). Rivière-du-Loup, Les éditions Mus’Art et Trois-Pistoles, 2003, 102 pages, p. 47.
Galerie Bernard, Montréal
Du 4 avril au 11 mai 2013