35e Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul
L’avenir n’est décidément plus ce qu’il était
Le thème Passés au présent choisi par Marie Perrault, commissaire du 35e Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, offrait une large marge d’interprétation et de traitement aux douze jeunes artistes (la plupart ont autour de trente ans) sélectionnés. C’est pourquoi l’ensemble de leurs productions se présente comme un bouquet éclaté que rien, à première vue, ne semble relier. Les rapports cependant sont subtils. Ils se définissent par les relations que manifeste chacun des artistes à l’égard du temps présent considéré comme issu d’un passé intime, personnel, voire familial, ou bien appréhendé comme le prolongement d’un phénomène historique. Les propositions (il est difficile de parler d’œuvres abouties) qui résultent de ces optiques sont clairement destinées à jouer sur la sensibilité du visiteur. Certes, elles y parviennent toutes un peu, mais toujours au prix de détours et d’explications souvent laborieux.
Dans la première catégorie, se rangent les installations (courtepointes et couronnes de fleurs) à caractère mortuaire de Magali Baribeau- Marchand et Sara Létourneau, composées d’amas de pétales éparpillées par le vent et ramassées dans un cimetière que surmontent des bouts de tissus rapiécés dans les mêmes tons ; les installations de Dong Kyoon Nam, constituées de l’émiettement d’appareils électroniques (téléphones, ordinateurs, téléviseurs), émiettement joliment étalé sur le sol qui témoigne de l’irréversibilité de l’acte de destruction porteur d’un message ambigu : critique du gaspillage ou inéluctable destin des objets de consommation voués à la casse ; l’installation banale de Stéfanie Requin Tremblay composée de messages Facebook renvoyant aux commentaires suscités par diverses nouvelles du mois (la mort de l’actrice Jeanne Moreau, le rappel de la disparition de l’animatrice Marie-Soleil Tougas…) piqués aux murs de son kiosque de travail ; les photographies de maisons submergées (quand, dans une centaine d’années, le niveau des eaux aura atteint plus de sept mètres) de Catherine Plaisance, opportunément servie par l’actualité de l’ouragan Harvey qui a transformé Houston en un lac géant ; les boîtes de nourriture vraie ou peut-être vraie (par exemple, sushis composés de pneus et de papier hygiénique) du duo Cabinet de fumisterie appliquée, simulant les stratégies de séduction (alléchants enrobages) des industriels de l’alimentation.
Les autres artistes ont affronté l’Histoire. Mitch Mitchell, sans doute le plus poète d’entre eux, donne au papier le privilège de redevenir bois. Il a eu l’idée de compresser des journaux au point d’en faire des blocs colorés par les images et les textes imprimés, mais surtout très durs ; il a chantourné ces pièces de sorte qu’elles constituent les éléments (dossier, bras, pieds) d’un fauteuil de style Louis XVI (encore à construire). Karine Locatelli reproduit avec finesse à la plume et à l’encre de Chine sur des toiles de lin des paysages accidentés de Charlevoix : elle froisse ses réalisations qui offrent alors un faux-vrai relief des lieux. Laura St.Pierre propose une installation où des plantes de la flore charlevoisienne sont plongées dans des bocaux remplis d’alcool ; elle a photographié quelques bocaux empilés les uns sur les autres dans un équilibre précaire d’un très bel effet. Charles-Étienne Brochu a perçu dans l’architecture de Baie-Saint-Paul ce qu’elle sera demain : il a modélisé des maquettes dont il tire des impressions au jet d’encre. Elise R Peterson a notamment réalisé un montage composé d’une reproduction du célèbre nu de Matisse et d’un personnage noir sculpté, signifiant ainsi que les artistes noirs ont été et sont toujours sous-représentés dans le monde de l’art. Le souvenir d’Alexis le Trotteur, que suggère la Famille Plouffe, est à peine digne de mention. Tout comme les contreventements en X de Jean-Charles Remicourt-Marie, destinés à protéger les fenêtres contre le souffle des bombes, contreventements devenus éléments de décoration.
Même si les propositions des douze artistes du 35e Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul n’ont rien d’exaltant, elles n’en sont pas moins ingénieuses et ludiques. Elles témoignent toutes d’un indéniable savoir- faire de la part de leurs réalisateurs. Bien malin qui saurait dire lesquelles résisteront au temps. Serait-il risqué de déclarer : probablement aucune ? Dans ce cas, cette édition ne laissera aucun souvenir. Est-ce la faute de la commissaire ? Est-ce la faute des artistes ? Assurément non. Alors ?
Alors, la formule même du Symposium est à revoir parce qu’elle ne permet pas aux participants de déployer judicieusement leur potentiel, tenus qu’ils sont à produire une œuvre en trente jours et, surtout, confinés qu’ils sont dans les limites d’un petit kiosque. L’art contemporain exige des moyens dont il convient de doter désormais le symposium annuel de Baie-Saint-Paul.
Passés au présent
35e Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul
Commissaire : Marie Perrault
Du 28 juillet au 27 août 2017