Conçue comme un pop-up, l’exposition Archéologie du futur rassemble cinquante œuvres parmi toutes celles figurant au catalogue de la galerie Art Mûr. Ils sont dix artistes au total dont le travail parle de ce rapport ambivalent au temps, que Pascal Portelance, commissaire invité, souhaitait évoquer.

C’est au dernier étage de la galerie, celui que ses directeurs surnomment le « salon des collectionneurs », qu’est présentée la sélection effectuée par le commissaire. Le concept : réunir dans un même espace des pratiques et des médiums différents autour d’une même notion. Archéologie du futur, l’expression ne vous est probablement pas familière ; c’est qu’on l’utilise plutôt dans les milieux artistiques et scientifiques, où elle reste toutefois peu répandue. Que cache donc ce mystérieux intitulé ? Pour le découvrir, remarquons qu’il combine deux mots que tout oppose a priori : archéologie et futur. Archéologie regarde le passé, quand futur se situe… dans le futur. Et c’est justement la force du paradoxe qui interpelle Pascal Portelance lorsqu’il tape l’expression pour la première fois sur sa machine à écrire (oui, il écrit encore à la machine !). Un travail de lecture et de recherche commence alors, à partir duquel il sélectionnera les œuvres les plus pertinentes sur le sujet.

Archéologie du futur, donc. On imagine nos lointains descendants avec des combinaisons hyper branchées, fouillant parmi nos déchets pour en extraire sacs plastiques et autres emballages non recyclables. C’est à peu près de cela qu’il s’agit… et de son contraire. Deux mouvements temporels se croisent effectivement au troisième étage du 5826, rue Saint-Hubert. Le premier, ancré dans le présent, cherche à anticiper le futur : à quoi ressemblera notre environnement dans 100 ans, 1000 ans ? Le second, ancré dans le futur, cherche à garder quelques traces du présent : quels objets, aujourd’hui synonymes de la plus grande banalité, seront demain synonymes de la plus grande rareté ?

Quel est le message ? Quelle est la critique ? C’est justement là que se situe toute la force de l’art : dans sa capacité à poser des questions sans imposer aucune réponse.

Dès l’entrée, les ready-made coulés en bronze de Zeke Moores donnent le ton. Caddie de supermarché, boîtes de hamburger et couvercles de poubelle, l’artiste offre nos détritus à l’éternité. D’éternité, il en serait aussi question à travers les ossements de Bevan Ramsay, ou encore les végétaux fossilisés de Barbara Todd, bien que dans une veine beaucoup plus abstraite. Mais revenons à nos déchets : on les retrouve sous une forme, si pas humaine, en tout cas biologique, chez Laurent Lamarche. Ses photographies et sculptures miniatures s’interrogent sur les relations entre nature et artifice à travers la transformation de matières inorganiques, plastiques principalement, directement issues de nos (sales) habitudes de surconsommation. Et pour compléter le panel des œuvres exposées, il faut encore citer le cosmonaute au casque autoréflexif de Brandon Vickerd, les architectures savantes de Melvin Charney et de Robbie Cornelissen, les outils inutiles de Guillaume Lachapelle et de Cal Lane, et les catastrophes tissées par Jannick Deslauriers. De l’un à l’autre, c’est l’idée d’un art engagé que revendique Pascal Portelance. Et si le commissaire avoue que l’on en demande probablement trop à l’art, il veut tout de même croire que celui-ci est porteur d’un message, voire d’une critique. Quel est le message ? Quelle est la critique ? C’est justement là que se situe toute la force de l’art : dans sa capacité à poser des questions sans imposer aucune réponse.

Coïncidence heureuse, les quatre expositions accueillies aux étages inférieurs proposent une belle résonance à la thématique. Au deuxième étage, on trouve ainsi Glossy Side Up, de Julia Lia Walter, dont les peintures transparentes explorent les relations complexes au temps ; et The Call of Things, de Jessica Houston, laquelle expose une collection d’objets apparus à la surface des pôles Nord et Sud à la suite de la fonte des glaciers. Au premier étage, Christine Nobel propose Between the Notes, une réflexion sur la grille observée dans les anciens métiers à tisser Jacquard et dans l’univers numérique contemporain ; et Claude Tousignant présente Variation 59 : suite de cinq tableaux à structure identique, symétrique et réversible, trouvée par hasard, tableaux dont un simple changement d’ordre dans l’application des couleurs les fait apparaître complètement différents à l’observateur. Le lien avec les expositions précédentes ? Cette idée, peut-être, que tout n’est qu’une question de perception, et que le monde tel que nous le connaissons est bien fragile. Cette idée, encore, que ce qui est et ce que l’on croit savoir pourraient ne plus être là la seconde qui suit… Courez à l’exposition avant qu’elle ne se termine !


Archéologie du futur
Commissaire : Pascal Portelance
Art Mûr, Montréal
Du 4 mai au 22 juin 2019