Est-ce qu’un kilo de plomb est plus lourd qu’un kilo de plumes ? C’est par cette question que Louise Viger et Caroline Cloutier interpellent les observateurs de leurs récentes productions, avec un jeu subtil de déstabilisation, d’illusion visuelle et kinesthésique. Quoique fondé sur le paradoxe (légèreté, fragilité et poids ; surface et profondeur), l’ensemble n’a d’autre effet que de tromper l’œil et les sens, dans une réévaluation de l’esthétique baroque. Celle-ci ne joue-t-elle pas sur l’instabilité, la mobilité avec multiplication des points de vue, la métamorphose et l’importance du décor dans le jeu d’illusion1 ? Chez Louise Viger et Caroline Cloutier, tout y est, mais en blanc.

L’installation De la chair au continent _une pietà, de Louise Viger, se déploie dans l’espace de la Galerie à la manière d’un voilage crémeux – une dentelle peut-être. Mais à bien y regarder, il s’agit d’un mail­lage de colle thermofusible : ce ne sont pas moins de 5 000 bâtons qui ont été nécessaires pour créer l’illusion d’une étoffe précieuse et vaporeuse de plus de soixante mètres de longueur et de deux mètres de largeur. L’illusion, aussi, est à l’honneur dans la Galerie II, puisque Caroline Cloutier joue avec la per­spective et la profondeur par une série de trompe-l’œil. Cinq photographies de forme rectangulaire, disposées sur trois des murs, représentent des passages creusés dans la salle blanche du sol au plafond, le quatrième accueillant une photographie ovale sur laquelle une femme, de dos, fait face aux entrées, pour une mise en abyme stylisée de l’installation. L’effet trompe-l’œil est d’autant plus saisissant qu’il sert l’effet « labyrinthe » : ce n’est pas une, mais plusieurs entrées qui invitent les visiteurs à franchir le seuil. Figés sur place, quel chemin prendre ? Pourquoi ne pas voir en ces passages des entrées symboliques dans lesquelles l’imaginaire s’engouffre, comme l’a fait au préalable le personnage féminin ? Nommé Dédale, l’ensemble photographique a perdu l’enchevêtrement labyrinthique de son modèle grec, mais pas sa valeur initiatique : c’est avant tout le lieu du choix, du bon chemin à prendre, de la connaissance de soi.

De la même manière, la Pietà de Louise Viger dépasse son modèle d’origine – elle le spatialise – tout en conservant son caractère sacré. En effet, l’installation répand sur le sol de la pièce principale le voile (de colle) de la Madone, en une expression matérialisée du religieux, de sa douleur humaine aussi (celle d’une mère). Dans une expérience volontairement polysensorielle, l’œuvre comprend une composition musicale d’Éric Champagne réinterprétant le Stabat Mater (1735) de Pergolèse (1710-1736) assorti d’un poème inédit de Denise Desautels, trame sonore qui brise le silence : « mur à mur – impression neige aveugle / sur une architecture de l’absence / vois, monumental / cet enlacement sonore de pietà et de fils ».

Dédale de photos, Pietà de colle, poème récité, musique jouée, tout dialogue, en définitive, dans un espace blanchi qui invite aux subtilités des jeux de l’illusion. C’est un vrai dialogue qui s’inscrit dans la confusion des sens en engageant autant l’art que le sacré. Un trompe-sens qui dit le vrai. 

CAROLINE CLOUTIER DÉDALE
LOUISE VIGER DE LA CHAIR AU CONTINENT _ UNE PIETÀ
CIRCA, art actuel, Montréal
Du 8 septembre au 13 octobre 2012