Elaine LaBrie : souvenirs de « Vacance »
Tandis que le programme régulier de la Galerie d’art Antoine-Sirois de l’Université de Sherbrooke était placé entre parenthèses, Caroline Loncol Daigneault – qui en est la nouvelle coordonnatrice – a demandé l’été dernier à Elaine LaBrie d’occuper l’espace d’exposition pour une résidence d’artiste.
« Cette résidence se voulait une manière de penser autrement notre volonté à combler les vides, explique Caroline Loncol Daigneault. D’où ce titre Vacance. Au lieu de proposer autre chose qu’une exposition, une initiative en ligne par exemple, nous voulions ouvrir un espace plus contemplatif face à ce vide. Avec Elaine LaBrie, l’approche est phénoménologique et marquée par un appel des bases, des éléments : eau, air, terre… C’est tout le contraire de l’écran et de la virtualité. »
La première partie de cette résidence s’est tenue fin juillet. Au départ, LaBrie s’est fixé une série d’actions à faire. Tracer, faire des coulées, renverser des contenants de terre, souffler…
Une vidéo de Myriam Yates documente ce processus. À travers l’obscurité, un nuage de poussière d’argile est propulsé à la pipette. L’artiste inscrit au mur noir une ligne dense. À côté, une constellation d’éclats terreux guilloche le mur irrégulièrement…
La référence préhistorique s’accentue tandis que se posent par endroits des empreintes de mains trempées dans l’argile. Le modèle pariétal s’allie à une forte communication de l’intimité. Affleurant en une sorte de vanité l’écume du temps, ses gestes nous rapprochent de la présence vivante du corps.
Empreintes de la main, dessins, témoignages périphériques d’un passage ou d’une déambulation, manifestations de motricité avec des rouleaux de papier sulfurisé dépliés… les gestes de l’artiste enregistrés par la vidéo s’enchaînent selon une alternance codique. Une expérience tactile et polysensorielle se déploie. Cette série d’actions serait à lire à la façon d’une chorégraphie. Ces marques apparaissent, comme en marge, en tant que résultantes de ce qui s’est passé. Se dérobant à l’évidence du visible, l’œuvre vit par ses traces tout autant que par ses prémisses.
Favorisant les facultés méditatives aiguisées par les sens, mettant l’emphase sur l’écoulement du temps, ce qui se bâtit ici, incantatoire et comme en creux, rejoint à la fois l’approfondissement d’un vécu et un comportement de retrait.
Fin août, Elaine LaBrie est revenue hanter l’espace de la Galerie Antoine-Sirois. Deuxième acte, le décor change. Table, chaises, murs repeints en blanc, lumière vive. L’artiste évolue dans ce qui ressemble à un laboratoire.
« Le passage de la galerie noire à la galerie blanche est une métaphore du passage du vide au plein. C’est la création arrimée au cycle de la vie », confie Caroline Loncol Daigneault.
Sur un écran, une projection nous montre une caricature, des photos d’œuvres d’art qui ont servi à LaBrie. On revoit ensuite des vues de la même galerie en noir avec ses interventions antérieures. Comme préparatoire à ce qui est là maintenant, un véritable travail de documentation s’opère. Ce retour nous permet de comprendre comment l’artiste appréhende l’espace afin de conceptualiser et de créer ses pièces et comment elle les active avant que celles-ci ne disparaissent.
Avec Elaine LaBrie, l’approche est phénoméno-
logique et marquée par un appel des bases, des éléments : eau, air, terre… C’est tout le contraire de l’écran et de la virtualité.
Le dispositif intègre certains éléments, dont les bâches des peintres en bâtiment qui ponctuent la transformation de l’espace. Là encore, l’énoncé d’actions « à faire » tient lieu de programme à des performances privées. L’une d’elles consiste à façonner des sphères d’argile puis de les peindre en noir. La sensualité de ce geste répétitif transparaît. Ce rituel s’apparente à une épure. Selon un ressort inédit, la séquence qui va de la fabrication de l’œuvre d’art à sa diffusion et sa réception est ici saisie. Atelier, galerie, ces territoires de la création se télescopent. À la manière aussi d’une production de soi, Elaine LaBrie a fait de cette résidence l’invention d’un lieu pour exprimer avec ferveur des influences, des inspirations, des montages, des parties constituant une œuvre qu’elle fixe, le temps que cela peut durer, avant qu’elle ne retourne au vide.
En ce sens Vacance témoignerait, selon la figure rhétorique des exempla, d’un « désir d’art ». Dans l’exempla, un récit donné comme véridique propose de nouveaux points de vue. Ici, un contenu narratif elliptique et une mise en forme déconstruite, d’une très grande économie et limités dans le temps, s’associent à des valeurs exprimant la contemplation, la permanence d’un modèle archéologique, l’authenticité et le recours à la main.
Appel à l’investissement d’un espace mais frôlant la remise à zéro, cette Vacance singulière, bien que cela ne soit pas le but recherché, se relie au contexte de la pandémie, notamment à travers les notions d’isolement, d’intimité, de lieu comme soustrait au regard mais qui, pourtant, nous est donné à voir.
Par ses multiples résonances, cette résidence pourrait servir, et avec brio, d’exergue à la future programmation de Caroline Loncol Daigneault.
Vacance
Galerie d’art Antoine-Sirois, Sherbrooke
Du 20 juillet au 27 août 2020