Vingt-six ans plus tard, la deuxième rétrospective de Francis Bacon organisée au Centre Pompidou à Paris se solde à nouveau par un succès public. Les images horrifiques de ce peintre iconoclaste exercent toujours une fascination chez les visiteurs.

Selon Michael Peppiatt, le mythe entourant le peintre s’est même amplifié depuis son décès en 1992. Il affirme : « Ce que Bacon a vu et comment son imagination l’a utilisé, cela nous ne le saurons que partiellement. C’est sûrement une des raisons fondamentales pour lesquelles ses images continuent à nous hanter et à nous échapper1. »

De l’aveu du peintre, les grands romanciers et poètes ont été pour lui de véritables déclencheurs d’images qui l’ont stimulé et qui lui ont ouvert les portes de son imaginaire.

Francis Bacon s’inspirait autant de peintures de Picasso, de films d’athlètes en mouvement que de scènes de désastres, de reportages de guerre ou de longs métrages terrifiants tel Alien. Au-delà de ces sources visuelles, les ouvrages littéraires ont également influencé le peintre, et c’est cet aspect important qu’a privilégié le commissaire Didier Ottinger. Intitulée Bacon en toutes lettres, la manifestation regroupe des œuvres produites durant les vingt dernières années de la vie du peintre – soit de 1971 à 1992 – et s’articule autour de six ouvrages poétiques, littéraires ou philosophiques provenant de sa bibliothèque2. Dans des espaces séparés et sombres sont lus des extraits des textes des écrivains, et c’est à proximité de ces zones que sont accrochées les œuvres en relation avec les écrits. Créée en 458 av. J.-C., la trilogie dramatique L’Orestie d’Eschyle demeure la principale et la plus durable source littéraire de Bacon. L’horreur, la culpabilité et le remords sont au centre de ce document antique. Chez Friedrich Nietzsche, le peintre retient de ses écrits l’étude du phénomène humain en terme psycho­physiologique. En ce qui a trait aux auteurs T.S. Eliot, Michel Leiris, Joseph Conrad et Georges Bataille, Bacon s’est attaché à restituer le sentiment tragique qui anime leurs œuvres respectives. De l’aveu du peintre, les grands romanciers et poètes ont été pour lui de véritables déclencheurs d’images qui l’ont stimulé et qui lui ont ouvert les portes de son imaginaire.

Si la littérature agit comme une génératrice d’images chez Francis Bacon, celui-ci a toujours refusé une interprétation narrative de ses œuvres, mais certains auteurs ont tenté néanmoins d’en dégager un sens. Par exemple, Gilles Deleuze postule qu’il y a deux manières de dépasser la narration inhérente à la représentation picturale, soit d’adopter une forme purement abstraite ou celle de la Figure. Selon cet auteur, la Figure est la forme se rapportant à la sensation, car elle agit directement sur le système nerveux. Ainsi, la déformation et la contorsion des corps dans les tableaux du peintre seraient avant tout des forces vitales dynamiques, pulsionnelles et autonomes3.

Peu importe la période et le sujet choisi, l’art du peintre britannique traite de la condition humaine dans une approche qui se veut chaotique, cauchemardesque et pénétrante. L’expo­sition récente au Centre Pompidou nous le rappelle avec éloquence et laisse le spectateur hébété devant des œuvres impitoyables.


Bacon en toutes lettres
Commissaire : Didier Ottinger
Centre Pompidou, Paris
Du 11 septembre 2019 au 20 janvier 2020

(1) Michael Peppiatt (2004). Le regard de Bacon, Paris, L’échoppe, p. 11.

(2) Les six ouvrages retenus sont les suivants : Les Euménides, dans la trilogie L’Orestie, d’Eschyle (v. 525 av. J.C.-456 av. J.C.); La Vision dionysiaque du monde, de Friedrich Nietzsche (1844-1900); La Terre vaine, de T.S. Eliot (1888-1965); Miroir de la tauromachie, de Michel Leiris (1901-1990); Au cœur des ténèbres, de Joseph Conrad (1857-1924) et Chronique. Dictionnaire, de Georges Bataille (1897-1962), paru dans la revue Document, n° 6.

(3) France Culture, 12 septembre 2019.