Instant, durée, mouvement. La photographie a arrêté le temps, figé le mouvement, captant ce qu’un œil humain ne pouvait percevoir. Mais grâce à divers stratagèmes, objets et personnages s’animent, du moins dans l’esprit du regardeur. L’exposition Horloges à voir. Photographie, temps et mouvement, au Musée des beaux-arts du Canada, explore les différents subterfuges retenus par les artistes de l’argentique et du numérique, en présentant des œuvres de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui.

Quand on envisage de rendre visible le mouvement en art visuel, la première pensée se porte vers la vidéo. Cependant, nombreux sont les peintres qui se sont intéressés à la représen­tation du mouvement, que ce soient les futuristes italiens ou Duchamp avec son Nu descendant l’escalier (1912). Les photographes ne sont pas en reste… Eadweard Muybridge, dès la fin des années 1870, invente un dispositif composé de plusieurs appareils photographiques qui, déclenchés au moment du passage d’un cheval au galop, décomposent le mouvement de l’animal en une vingtaine de clichés. Il voulait prouver ce qu’avançait le physiologiste Étienne-Jules Marey, à savoir qu’il existe un moment où le cheval ne touche plus du tout le sol. La chronophoto­graphie constituait un outil utilisé à des fins scientifiques et n’était en aucun cas considérée comme une démarche artistique. Arnaud Maggs, près d’un siècle plus tard, lui fait un clin d’œil avec son œuvre André Kertész, 144 vues, un ensemble de portraits miniatures dans lequel le photographe hongrois André Kertész pivote légèrement entre chaque prise de vue. On pourrait suivre le mouvement en regardant l’œuvre attentivement, mais la disposition verticale plutôt qu’horizontale trouble la perception.

Jouer avec le temps de pose

Technique plus utilisée aujourd’hui, l’allongement du temps de pose permet, par le flou qui en résulte, de figurer le mouvement. Cette approche n’est cependant pas nouvelle. En témoigne, dans l’exposition du Musée des beaux-arts d’Ottawa, un superbe cliché de William Notman, Les chutes Niagara (1869), dû, il est vrai, aux limites technologiques de l’époque. Cette méthode est exploitée par Serge Tousignant qui, littéralement, dessine avec des flocons de neige sur un mur de briques (Dessin de neige et de temps no 4, 1977). À l’opposé, Harold E. Edgerton réduit le temps d’exposition à l’extrême : son cliché d’une explosion de bombe atomique dans le Nevada a été pris à la vitesse de un cent-millionième (1/100 000 000) de seconde ! Paradoxalement, sa photographie exprime le mouvement en le figeant puisque le sujet est tellement fort que l’imagination poursuit l’action.

Le photomontage, bien employé, peut participer lui aussi au rendu du mouvement. Dans les années 1880 – bien avant l’invasion de Photo­shop ! –, William Notman recourt à la photo­graphie composite pour obtenir des effets variés, comme des photographies de groupe, mais aussi cette Bascule exposée à Ottawa : des randonneurs lancent dans les airs – très haut – l’un des leurs. On y croit…, mais on sourit aussi !

Rêve d’ubiquité

Ce n’est pas seulement le rendu du mouvement qui est abordé, mais la notion plus générale de temps, instants fugaces, isolés ou superposés. Les artistes tentent de surmonter l’impossibilité d’être à plusieurs endroits en même temps, l’impossibilité de considérer une scène sous divers angles simultanément. La question du temps, de l’instant, se double de celle de l’espace. Tout voir, dans son entièreté, sa globalité, n’est-ce pas le rêve éternel de l’homme, qui se veut l’égal des dieux, qui envie leur ubiquité ? Le cubisme, en déconstruisant l’objet et en assemblant ses différents morceaux issus de plans incompatibles, proposait une réponse. Les photographes apportent la leur, ou plutôt les leurs, car les approches sont nombreuses et variées. Ainsi, Kristan Horton réalise plusieurs photographies dans son atelier à des moments différents et les superpose, avec des effets de transparence, en un seul cliché. L’écoulement du temps apparaît sous forme de strates, comme un dépôt géologique. Barbara Probst, dans Exposition no 42 : N.Y.C., rues Broome et Crosby, 06.09.06, 19 h 12 (2006), présente, en six photographies, un même moment capturé à partir de points de vue différents, sous des formes différentes (portrait noir et blanc, vues en couleur de dos, en plongée depuis la fenêtre d’un immeuble, de l’autre côté du carrefour…). Le regardeur se déplace dans l’espace, mais reconstruit aussi mentalement l’instantanéité du moment. Ilse Bing, quant à elle, utilise un jeu de miroirs pour donner à voir à la fois sa face et son profil (Autoportrait aux miroirs, Paris, 1931). Le visiteur ne sait où poser les yeux : observer et être observé, ou croiser le regard de l’artiste. La simultanéité est impossible.

D’autres artistes proposent d’autres techniques : panorama circulaire complet, photos d’une même rue tout au long de la journée, dessin au trait avec les néons de la ville, mise en abyme, objets lancés et photographiés en plein vol … À vous d’aller les découvrir ! 

HORLOGES À VOIR. PHOTOGRAPHIE, TEMPS ET MOUVEMENT
Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa
Du 20 décembre 2014 au 3 mai 2015