Les œuvres récentes exposées par Hugo Bergeron à la Galerie Graff représentent des espaces paysagers composites, à la fois urbains, industriels et naturels, des coupes colorées d’environnements éclatés et denses.

Bien différents des œuvres antérieures purement abstraites qui mettaient en forme une perception du chaos et exploraient la planéité à partir de la grille rythmée par des taches de couleurs vives, les grands tableaux de l’exposition Quant à l’ombre du ciel sont figuratifs et minutieusement construits en intégrant de nombreux dispositifs de la perspective. Ils révèlent un intérêt indéniable pour la représen­tation de la profondeur.

Ainsi, Horizon 1 fait le lien avec les recherches antérieures de l’artiste, puisque ce tableau conserve une composante de la grille : la répétition sur toute la surface de larges lignes verticales bleutées, appliquées en transparence. Ces bandes rythment le paysage et le dissimulent partiellement.

Dans la plupart des autres images, la grille intègre la troisième dimension : elle se soumet à la convergence d’un point de fuite ou bien devient cubique. Les dispositifs perspectifs mis en place sont nombreux, et la structure des images se conforme à la norme du paysage : une ligne d’horizon délimite deux plans principaux qui sont à leur tour subdivisés en plusieurs plans, proches et lointains. L’originalité du propos de Bergeron se fonde en partie sur l’hétérogénéité apparente des juxtapositions originales de fragments d’espaces naturels et urbains. Ceux-ci s’accumulent en strates, intenses et colorées ; les éléments répétés filent à l’infini vers un ou deux points de fuite ; les formes sont superposées, répétées avec une progression dans leurs dimensions ; les contours sont plus définis au premier plan et plus flous en arrière-plan, etc. La structure répond aux règles de la perspective. Les moyens utilisés pour rendre vraisemblable le leurre de la tridimensionnalité abondent.

Une autre particularité des œuvres concerne l’aspect chromatique des images : les contrastes de couleurs pures et vives sont accolés à des tons rompus amplifiant leur atmosphère d’étrangeté. Les images cumulent aussi un amalgame de techniques d’application de la matière ; à cet égard la richesse des procédés picturaux est remarquable. Les glacis, les frottis, le hard-edge, les aplats, les dégradés bien contrôlés, les pulvérisations, la touche (énumération non exhaustive) comptent parmi les nombreux procédés picturaux intégrés pour la réalisation de ces œuvres.

Tous les aspects des tableaux, les structures complexes des compositions, la vaste palette déployant de riches modulations de teintes, de tonalités et de saturations, la grande diversité des formes géométriques et organiques, la variété des traitements de la matière, de même que l’hétérogénéité des éléments représentés concourent à communiquer la surabondance et l’éclatement ; ils interpellent et captent le regard.

La composition de Synopsis 1 inclut une dégression de plans successifs, juxtaposés à l’horizontale, qui convergent vers un point masqué par une large ligne verticale ressemblant à un pilier ou à une cheminée d’usine, un élément construit, érigé sur une forme grise arrondie dont l’apparence rappelle un cap de roche. Plus bas, au niveau souterrain, une mosaïque multicolore fuit, peut-être à l’infini, et rappelle les tuiles d’un sol vivement coloré dont le position­nement dérange même si l’habitude de carreler le sous-sol est acquise. Au premier plan de cette organisation complexe, deux surfaces révèlent le support rayé de coulures, affirmant, malgré la représentation, la peinture-matière et la planéité de l’œuvre. Une progression de taches blanches peintes sur fond azur s’étend, de la ligne d’horizon jusqu’au bord supérieur du tableau, mimant l’effet convaincant de l’optimiste ciel bleu que des formes brunâtres atténuent en s’y superposant malgré leur transparence. Surplombant une concentration de blocs rectangulaires placée au centre du plan, elles sont suffisamment accentuées pour suggérer les salissures fumantes déversées par les usines. Rendues visibles, ces ombres polluantes modulent le bleu du ciel et complètent cette représentation, fragmentée, éclatée comme si elle avait cédé à la pression, voire à l’urgence de son propos même.

Les paysages de l’exposition Quant à l’ombre du ciel mixent les éléments naturels et les structures construites par l’homme d’une manière énigmatique. Le regard reconnaît la précarité des lieux, l’instabilité spatio-temporelle, la menace. Cette lourdeur chargée de tant de conséquences irréversibles est connue ; elle plane désormais sur le potentiel exploitable de toutes les ressources. Les deux aspects coexistent dans le réel — enfin pour le moment —, mais la limite est proche, outre des allures d’infini.

Hugo Bergeron construit le récit des contradictions actuelles, il illustre le paradoxe de la joie de construire dans un environ­nement que chaque geste abîme. Son chaos polychrome et multiforme est un portrait de la beauté et de la richesse du monde, de sa fragilité, de même qu’une représentation réaliste de l’extravagance si particulière au temps présent, peint en format paysage et en style apparemment surréel. Rendant visible l’absurde trop longtemps gardé sous silence, la peinture parle.

HUGO BERGERON – QUANT À L’OMBRE DU CIEL (Peinture)
Galerie Graff 963, rue Rachel Est Montréal Tél. : 514 526-2616 www.graff.ca
Du 20 octobre au 19 novembre 2011