C’est un Jean-Paul Jérôme inédit, voire audacieux, qu’invite à découvrir la Galerie d’Este dans une suite de surprenants tableaux et de collages qui préludent à des sculptures que relie une évidente parenté avec les peintures du maître plasticien.

L’exposition Jean-Paul Jérôme – construction d’espace couvre la période qui va des années 1990 à 2004, année de la disparition du peintre. Selon Simon Morin-Plante, le commissaire de l’exposition, il s’agit de la période la plus faste de l’artiste, celle où se manifestent le mieux sa rigueur et sa maîtrise de la peinture. Une vingtaine d’œuvres, représentatives des différents champs d’expérimentation de Jean-Paul Jérôme, ont été choisies : des peintures de petit et grand formats, des sculptures, ainsi que des collages dits aériens. Toutes expriment la fasci­nation de l’artiste pour la géométrie et la vibrance des couleurs. Elles se caractérisent par une abstraction géométrique quasi-hard edge, qui renie toute forme de narration ou de référence au réel. Toutefois, ses compositions introduisent une forme de lyrisme et une tension qui les distinguent de celles d’autres tenants québécois de l’abstraction géométrique, tels Guido Molinari ou Yves Gaucher. Chez ceux-ci comme chez certains minimalistes américains, la géométrie est réduite à sa plus simple expression : rectangles, carrés, lignes dont la principale fonction semble être de révéler l’oscillation des teintes. Chez Jean-Paul Jérôme, la forme joue un rôle aussi important que la couleur. Tout en créant des œuvres complètement abstraites, il joue avec la perception oculaire : les obliques rappellent des lignes de fuite ; une couleur plus sombre pourrait être l’ombre de sa voisine, il introduit une idée de volume bien que toutes les surfaces soient traitées en aplat.

Les œuvres phares des années 1993 et 1994 présentent des contrastes de couleurs assez agressifs et emblématiques de cette période. Beaucoup de grands formats, de 120 x 150 cm, rendent justice à l’œuvre de Jean-Paul Jérôme, dont on a surtout vu des petits formats depuis 2004.

Les collages constituent un stade intermédiaire entre la peinture et la sculpture : de face, la composition de ces collages aériens donne l’illusion de la planéité. Ce n’est qu’en se déplaçant sur les côtés de l’œuvre que l’on découvre leur tridimensionnalité. Le titre de l’exposition Construction d’espace est judicieux dans la mesure où les sculptures proposées constituent des transpositions de compositions bidimensionnelles dans l’espace.

L’exposition présente aussi deux tableaux de la toute dernière année de la vie de l’artiste montréalais. Des formes géométriques colorées semblent flotter à l’avant d’un fond noir. Ces compositions épurées, d’un effet visuel frappant, se distinguent du reste du corpus et viennent en magnifier l’ensemble.

Cette exposition montre comment Jean-Paul Jérôme, co-auteur en 1955 du Manifeste des Plasticiens, est resté fidèle tout au long de sa carrière aux principes énoncés par ses quatre signataires : « Les Plasticiens s’attachent avant tout, dans leur travail, aux faits plastiques : ton, texture, couleurs, formes, lignes, unité finale qu’est le tableau, et aux rapports entre ces éléments. »

Simon Morin-Plante, qui a passé plusieurs mois à consulter et à inventorier les quelque 5 000 œuvres de Jean-Paul Jérôme, peut témoigner de l’assiduité avec laquelle l’artiste s’est consacré à cette recherche intuitive de l’effet plastique. Il a pu consulter les carnets de travail dans lesquels Jean-Paul Jérôme décrivait ses expérimentations chromatiques. Sur l’une des toiles de l’exposition, l’artiste a appliqué jusqu’à 60 couches pour obtenir la teinte souhaitée d’un aplat de jaune. Selon l’un des principes du Manifeste des Plasticiens, il n’y a nul besoin, pour s’adonner à la peinture, d’autre justification que l’envie de peindre. Cette affirmation, en apparence candide, résonne avec l’exposition, qui donne à voir l’œuvre d’un homme solitaire, guidé par l’intuition dans sa recherche de la plénitude de l’instant présent, du plaisir de peindre. Elle montre également un artiste d’une certaine humilité, cherchant à retrouver une « naïveté artisanale », loin des discours érudits sur l’art. Ainsi, Jean-Paul Jérôme s’inscrit bien dans le mouvement amorcé par Paul-Émile Borduas avec Refus global, un rejet du carcan des valeurs traditionnelles en même temps qu’un élan vers la liberté individuelle.

Professeur à l’École des beaux-arts de Montréal depuis son retour de France en 1958, Jean-Paul Jérôme préfère dès 1973 se consacrer entièrement à son atelier. Ses ayants droit entendent mieux faire connaître l’immense collection qu’il a laissée derrière lui en disparaissant. Les œuvres présentées à la Galerie d’Este comportent, en effet, un fragment de l’histoire culturelle du Québec et de l’abstraction picturale nord-américaine. Une modernité joyeuse et sans concession s’exprime ici : des lignes nettes, des couleurs vives et des angles ouverts.

Jean-Paul Jérôme Construction d’espace
Commissaire : Simon Morin-Plante
Galerie d’Este, Montréal
Du 5 octobre au 12 novembre 2017