Inspiré par le château d’Uraniborg que fit construire le célèbre astronome Tycho Brahé en 1576 sur l’île de Ven, au Danemark, l’exposition Uraniborg se parcourt comme une chasse au trésor dans un labyrinthe de la Renaissance.

Laurent Grasso propose des œuvres de différents médiums : vidéos, dessins, néons, peintures et sculptures. Chaque élément a été soigneusement sélectionné et agencé pour créer une ambiguïté temporelle, une énigme composée d’artéfacts et d’apocryphes élaborant, selon les mots de l’artiste, « une fausse archive », les mémoires du futur.

Plusieurs stratégies sont déployées dans cette ambitieuse installation. Au premier abord, le visiteur note les longs et sombres couloirs parsemés de petites fenêtres laissant voir, soit une œuvre exhibée dans un espace auquel il n’aura pas accès, soit l’endos d’une projection vidéo qui pourra être regardée dans son ensemble par l’emprunt d’un passage menant à la salle de visionnement. Dans le premier cas, les artéfacts, élégamment éclairés, posés sur des socles ou accrochés au mur, demeurent insaisissables, précieux, mystérieux. À l’instar des astronomes fouillant du regard le firmament au moyen d’instruments, le public découvre, scrute, et tente de donner un sens à la pléiade des indices ainsi offerts.

Mariant l’imaginaire artistique à l’esthétique scientifique, l’exposition met en scène un mélange hétéroclite d’objets mis en relation par l’appropriation ou l’actualisation de documents. Par exemple, une salle comporte des photographies de papes contemplant le ciel à partir de l’observatoire situé dans leur résidence d’été, tandis que le mur d’une autre salle arbore, en néons, les astres représentés dans le livre Sidereus Nuncius dans lequel Galilée démontre que la Terre tourne autour du Soleil. Tout à côté, et presque au sol, un petit écran diffuse le film The Construction of History (2012), tourné lors de l’enterrement du pape Jean-Paul II. Il est évidemment impossible de ne pas établir un rapprochement entre l’emprisonnement de Galilée pour hérésie en 1633 et la reconnaissance de ses recherches par Jean-Paul II, devant l’Académie pontificale des sciences, en 1992, plus de trois siècles et demi plus tard.

Mariant l’imaginaire artistique à l’esthétique scientifique, l’exposition met en scène un mélange hétéroclite d’objets mis en relation par l’appropriation ou l’actualisation de documents.

L’artiste ne se limite pas à l’historiographie de la science ; il ajoute sa propre mythologie à certains éléments, laissant ainsi le visiteur sans repère pour distinguer le vrai du faux, ou encore pour situer les époques. Par exemple, sur des toiles exécutées dans la tradition des peintres flamands du XVIe siècle figurent des rochers ou de larges formes géométriques tridimensionnelles en lévi­tation ; ces tableaux établissent un pont entre la culture et les recherches effectuées dans le domaine de la psychokinèse. S’agit-il d’œuvres anciennes documentant des expériences vécues ou imaginées, ou bien s’agit-il de copies retravaillées par l’artiste ?

Tel que Grasso l’a mentionné en marge de son exposition lors d’une conférence au Musée d’art contemporain de Montréal, « le savoir a pour enjeu le pouvoir », or les « puissants » détiennent le pouvoir et imposent le savoir. La protection des connaissances et des secrets constitue un thème cher à l’artiste. Ainsi, deux vidéos présentent deux aspects de la technologie au service du contrôle et de la surveillance. La plus impressionnante, On Air (2009), montre un faucon auquel est attachée une caméra. Le rapace survole un territoire, permettant le monitorage des campements ennemis. Quant à The Silent Movie (2010), elle donne à voir un sous-marin longeant la côte de Carthagène. Tour à tour, le visiteur est placé à l’intérieur des constructions militaires, observant la mer Méditerranée, puis le sous- marin avançant lentement, exerçant son rôle de protection contre des invasions, des immigrants clandestins, des receleurs, des espions.

Laurent Grasso a réussi un tour de force, celui de montrer la complexité des relations entre la science et la société, et manifestement l’utilisation de la science, à toutes les époques, par le pouvoir en place. 

Le titre de l’article fait référence à une œuvre de l’exposition, Memories of the Future.


Laurent Grasso, Uraniborg
Commissaires : Marie Fraser, Marta Gili et Laurent Grasso
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 7 février au 28 avril 2013