Le murmure d’une empreinte : Caroline Mauxion avec Céline Huyghebaert et Elise Anne LaPlante
C’est dans un espace habité de couleurs de chair et de spectre de gris que nous accueille Le murmure d’une empreinte, en montre au centre Arprim à l’automne 2022. Cette exposition collaborative découle d’échanges entre Elise Anne LaPlante, commissaire, autrice et travailleuse culturelle, Céline Huyghebaert, autrice et artiste visuelle, et Caroline Mauxion, artiste visuelle. Une distinction entre ces rôles n’est pourtant pas mise de l’avant : bien au contraire, ils sont éclipsés au profit d’une exploration commune du corps, faisant fi des étiquettes typiques. Une approche collaborative, adoucissant les frontières, vient alors définir cette exposition qui invite à entrer en contact avec le travail plastique de Caroline Mauxion, mais aussi des œuvres et un texte réalisés à six mains.
Cinq grands regroupements d’œuvres de Mauxion occupent la salle d’exposition, sortes de « collages » spatiaux combinant à la fois des éléments bidimensionnels et tridimensionnels. Agissant comme pièces maîtresses de ces agencements, des photographies de taille importante, collées directement au mur, révèlent des fragments de corps en gros plan : une épaule, un nombril, une cuisse. Les corps représentés semblent parfois seuls, parfois en duo. Ces images sont également accompagnées de sculptures en plâtre modelées à la main : certaines, rondes et lisses, peuvent se tenir dans une paume, et d’autres, droites et cylindriques, sont de la longueur d’une jambe ; certaines sont posées directement au sol alors que d’autres reposent sur des tablettes au mur. On retrouve également des transferts d’images sur dalles de plâtre soigneusement frottées ainsi que de longues tiges de métal qui rentrent dans les murs et le plancher et en sortent. Dans l’ensemble de ces éléments, matériels comme imagés, il y a présence de textures : plissures, chair de poule, pilosité, porosité.
C’est à se demander si les images et les objets sculpturaux ne dégageraient pas une chaleur si on en venait à les toucher.
Une première lecture de l’exposition suggère un environnement invitant, en raison de sa palette, mais aussi par la multiplication de formes organiques qui s’épousent entre elles. C’est à se demander si les images et les objets sculpturaux ne dégageraient pas une chaleur si on en venait à les toucher. Des indices d’une chambre, présente dans les photographies, évoquent également l’idée d’un safe space intime et accueillant. Un élément important de l’exposition nous amène, toutefois, à porter un regard tout autre : posée sur une tablette, on retrouve une petite pile de livrets d’une dizaine de pages qui recèlent un texte poétique écrit par LaPlante, Huyghebaert et Mauxion, jumelé à trois aquarelles de cette dernière. De discrètes bribes de ces mots se cachent d’ailleurs en salle, sur vinyle ou encore sur plaque d’argile embossée. On y traite de fatigue, de douleur et d’incapacité. Cette même chambre peut alors plutôt prendre des allures d’espace limitatif.
En creusant les sujets qui préoccupent dernièrement les trois intervenantes dans leurs pratiques individuelles, il n’est pas étonnant qu’elles aient été amenées à collaborer : LaPlante assure actuellement le commissariat de l’exposition en tournée Le septième pétale d’une tulipe-monstre qui met au défi nos conceptions du corps normatif ; Huyghebaert a publié cette année de tous nos corps, livre résultant d’une série de rencontres avec des personnes atteintes de cancer ; les derniers travaux de Mauxion sont davantage puisés à même ses expériences personnelles, liées à des traitements orthopédiques qu’elle a dû subir. Toutes trois se penchent sur le vécu, souvent invisible à autrui, par lequel passent les corps. Sachant cela, la cohabitation dans l’exposition de formes souples et d’autres plus structurantes laisse place à une certaine ambiguïté entre bien-être et mal-être. Des duos de sculptures, ligotées ensemble, évoquent le corps contraint – tiré, en voie d’être rééduqué –, mais aussi le corps libre, dans une exploration sensorielle et sensuelle de lui-même ou d’un autre. Un flou entre position intime et posture de correction se fait alors ressentir.
Le murmure d’une empreinte cherche peut-être à montrer que tout n’est pas noir ou blanc : un même corps peut abriter à la fois désir et douleur, maladie et douceur, plénitude et fragmentation. Des zones grises. Il est difficile d’accepter d’habiter un corps perçu comme « mauvais » selon les normes sociétales, un corps fatigué ou dysfonctionnel qui nous trahit. Il s’agit d’un exercice d’amour-propre ardu et souvent extrêmement isolant, d’autant plus que ce travail passe bien souvent inaperçu. Une grande force de cette proposition provient de ces trois intervenantes qui ont su s’allier et briser cette solitude, dans le partage d’expériences. Leur travail, guidé par les mots et par les images, est admirable en ce qu’il agit à son tour comme un baume pour les personnes qui, comme moi, viennent à sa rencontre. C’est sous la forme d’une invitation que je reçois cette exposition, lancée en toute bienveillance et reçue avec gratitude.
(Exposition)
Le murmure d’une empreinte
Artistes : Caroline Mauxion, avec Céline Huyghebaert et Elise Anne LaPlante
Arprim, centre d’essai en art imprimé, Montréal
Du 9 septembre au 15 octobre 2022