Le paysage dans tous ses états ou presque
À l’heure de l’écologisme et du développement durable, alors que l’on cherche à le protéger contre l’exploitation éhontée de ses ressources, il n’est pas vain de se demander : où en est le territoire dans l’art aujourd’hui ? Où en est le territoire québécois en particulier ? Celui des étendues vierges à perte de vue qui peuplent le Grand Nord préservant jalousement (mais pour combien de temps encore ?) son mystère. Celui de la ruralité, de l’urbanité aussi. Celui des blessures intérieures…
Où en est le paysage dans l’art aujourd’hui ? Telle est la question que s’est posée Louis Pelletier, conservateur de la Collection Loto-Québec. Sa réponse prend la forme d’une exposition regroupant quelque 68 œuvres issues de la collection de la société d’État. Elle a pour point de départ Espace Création à Montréal, et sillonnera ensuite pendant trois ans le territoire québécois. Dans chaque région visitée, un projet vert sera développé. Quand l’art vient ainsi ajouter l’utile à l’agréable…
Le paysage, soit. Mais lequel ? L’originel, dans sa sauvage splendeur virginale ? Le traditionnel, avec ses arbres et ses cours d’eau bouillonnants ? Le paysage comme art de la représentation ou art de l’interprétation ? Le physique ? L’imaginé ? « Tout cela et plus », répond Louis Pelletier. Celui que l’on habite, celui qui nous habite, tapi dans l’expérience sans cesse renouvelée de nos sens et de notre imagination. Notre paysage intérieur, ce « pas encore représenté », lieu de tous les fantasmes.
Du microscopique au macroscopique, à Espace Création, le territoire étale ses plages de couleurs, comme dans les sérigraphies d’Élisabeth Mathieu. Espace abyssal, il s’ouvre comme chez Agnès Riverin ou Judith Berry. Il fait écho au lieu géographique que l’on porte en soi tels une trace ou un souvenir d’un terrain où l’on est passé. René Derouin le revisite sans relâche dans ses perpétuelles migrations à la recherche du soi dans l’ailleurs (Between XXXII). Michael Smith, lui, le scrute de sa fenêtre (View from Studio Window) où il prend la forme d’une vue imprenable sur Saint-Henri. Chez Fred Taylor, il se fait anecdotique avec ses fonds de ruelles croqués sur le vif ou encore descriptif, avec ses vues de monuments montréalais. Chez René Richard et Suzor-Côté, il incarne le terroir ancestral, tandis que chez Louise Boisvert, il explose en une symphonie de couleurs, tel un soleil se noyant dans les premières lueurs printanières.
L’animal, jamais étranger au paysage, apparaît au détour d’une peinture, d’un dessin ou d’une sculpture. Il emprunte les traits de l’ours (Piungituq), du caribou (Daudelin) ou de l’oiseau (Altmejd). Le territoire donne à voir l’infiniment grand (photographies aériennes de Mario Faubert), le détail qui, chez Louise Duval, confine à l’abstraction (Connivence), l’insolite qui décoiffe avec Fernande Forest (Lorsque le dur et le coupant rencontrent le mou et le coulant) et le fantomatique, chez Marc Langevin, qui force le promeneur à suspendre sa déambulation l’espace d’un songe (All Things Must Pass). Il faut ajouter enfin les Territoires imaginés, titre d’une photographie (impression au jet d’encre) de Giorgia Volpe et titre de l’exposition. L’œuvre évoque tout à la fois l’infiniment grand et l’infiniment petit : étonnant tour de force sur moins de 50 centimètres carrés.
Pour porter cette ode aux multiples visages du territoire, on a fait appel au verbe coloré de Fred Pellerin, qui signe le texte d’accompagnement de l’exposition. Bientôt dans un coin de pays près de chez vous.
TERRITOIRES IMAGINÉS par les artistes de la Collection Loto-Québec
Commissaire : Louis Pelletier
Du 17 avril au 23 juin