Léna Mill-Reuillard – Des écrins de lumière
Il n’est de photographie sans lumière. La lumière est ce qui révèle, ce qui permet aux choses de se manifester. Elle est ce qui permet de distinguer et de saisir le monde dans sa phénoménalité. Mais la lumière est aussi, en photographie, le stylet qui écrit l’image, soit le procédé par lequel un objet rayonnant, projeté par la lumière, s’enregistre sur une surface sensible. Ainsi, le médium agit telle une redondance du phénomène qu’est l’« apparaître des choses ». L’image photographique dévoile le monde tout en partageant la même origine que la propre apparition du monde, tel que nous le percevons, à savoir la lumière.
Dans ses dernières œuvres, Léna Mill-Reuillard s’est particulièrement intéressée à cette lumière, dans son essence et ses manifestations. Invitée au centre d’artistes VU, à Québec, l’artiste a présenté un ensemble de photographies de pièces vides, aux apparences abandonnées. Avec simplicité, la prise de vue assemble l’image du plancher et des murs selon la structure propre aux paysages, selon le principe de la ligne d’horizon. À l’intérieur des murs, dans ces paysages intérieurs, se dessinent alors des empreintes de lumière.
Léna Mill-Reuillard aborde une préoccupation constante du photographe. Indubitablement, un photographe doit savoir jouer de la lumière, de son intensité, de ses contrastes. Il lui faut pour cela savoir parfois attendre, s’ajuster ou même retoucher par la suite la luminosité de l’image. Or, les différentes photographies exposées dans la galerie rendent compte de l’influence de cette lumière dans l’espace. L’éclairage d’une image peut en effet altérer le sens que celle-ci véhicule. La lumière n’est pas seulement ce qui permet de voir. Elle est aussi porteuse de sentiments, d’émotions et subjectivise l’objet pris en photo. Grâce aux différentes lumières où baignent ses photographies, Léna Mill-Reuillard crée différentes ambiances. Elle alterne des lueurs diffuses, franches, saturées ou subtiles, chaleureuses ou blanches. Ces textures différentes transforment les lieux. L’artiste interroge ainsi la charge émotive que peut véhiculer l’éclairage d’une photographie. Son travail soulève la question : de quelle manière la lumière peut-elle parler ?
Toutefois, la forte présence des halos lumineux, et surtout l’absence de tout autre objet, confisquent à la lumière son rôle de moyen par lequel on perçoit et lui confèrent à la place le statut d’objet même, perçu par le regard. Sous la prise de vue de l’artiste, ces lueurs semblent se matérialiser, tels des corps apparents. Les regards les objectivent. Elles apparaissent sous forme de cercles, ou bien à travers le reflet très géométrique d’une fenêtre contre un mur. Leur simplicité semble donner à ces figures lumineuses des formes abstraites. Cette recherche vers l’abstrait, Léna Mill-Reuillard l’exprime d’ailleurs dans l’une de ses photographies où, étendu au sol, un tapis est juxtaposé à deux bandes de lumières qui lui font écho. Sur ce tapis, tiré de l’atelier d’un peintre, il reste encore des résidus de peintures, qui rappellent des toiles expressionnistes.
À ces jeux de lumière, le travail de Léna Mill-Reuillard ajoute un jeu de mise en abyme. C’est particulièrement le cas de l’œuvre qui donne à voir un espace dans lequel est suspendue une photographie dont l’image est semblable à celle qui la contient. Ce jeu d’emboîtement met en boucle la structure d’énonciation de l’œuvre. La photographie n’est-elle d’ailleurs pas elle-même soumise à l’éclairage de la galerie et suspendue à son tour contre le mur ? Ce jeu d’écho offre une réflexion sur la genèse de l’œuvre et remet en cause sa dimension dans l’espace occupé par le spectateur. Elle fait ainsi prendre conscience que la lumière est partout et la condition sine qua non de notre perception de l’œuvre même.
Au centre de l’espace de la galerie est suspendue une image grand format qui représente un espace déserté, où des livres gisent pêle-mêle sur le sol. Sur le mur se dessine le reflet de la lumière à travers une fenêtre. Or, à mesure que le spectateur regarde l’image, la lumière s’intensifie pour inonder peu à peu la pièce. Il découvre ainsi que, sur la photographie, est projetée une vidéo. Ce glissement vers une image en mouvement hypnotise le spectateur, happé par l’intensification de la lumière. À cet effet s’ajoute celui de transparence du papier : le spectateur peut voir à travers l’ombre de personnes qui se trouvent de l’autre côté de l’œuvre. Les effets de transparence du papier et ceux d’illusion véhiculés par la vidéo agissent alors comme si la lumière sortait du système propre à la photographie. La photographie n’est plus un objet fixe et extérieur, mais agit en dialogue avec le lieu où elle est exposée.
En cherchant à repousser les zones limitrophes de son propre médium, la photographe semble vouloir attirer le regard sur l’immanence de la lumière. Or, par-delà ce phénomène immatériel, s’ouvre l’idée de transcendance et de beauté. Léna Mill-Reuillard renoue avec le mystère propre à l’art et sa non moins mystérieuse capacité à inonder également le monde.
Léna Mill-Reuillard Fenestra
Centre VU, Québec
Du 13 février au 15 mars 2015