Afin de reproduire ou de représenter fidèlement un souvenir, il est essentiel de recréer l’émotion que celui-ci suscita initialement en nous. Voilà l’expérience que propose l’exposition Ces lieux qui nous habitent de Chloé Beaulac. À travers un corpus de photographies manipulées et une installation, l’artiste y complète des souvenirs de son enfance à l’aide d’éléments extérieurs ou imaginés pour en faire des réalités mnémoniques augmentées qui redonnent aux lieux familiers qui lui sont chers toute leur étrangeté et leur pouvoir d’émerveillement.

Chloé Beaulac, artiste multidisciplinaire et lauréate des Missions photographiques des Laurentides – résidence octroyée en partenariat avec les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie et Loto Québec –, a passé un mois à l’automne 2019 à sillonner les régions des Hautes et Basses-Laurentides pour y documenter près de quarante villes et villages. Le lien qu’entretient l’artiste avec cette région remonte aux étés qu’elle a passés au chalet de sa tante sur le lac Labelle, un endroit magique où elle a vécu son premier contact avec la nature sauvage.

La série de photographies réalisée durant cette résidence est transformée ici en tableaux aussi inquiétants que captivants. Les couleurs désaturées baignent ces lieux reculés d’une lumière intemporelle, un thème repris par plusieurs éléments incrustés – une structure mégalithique, un cheval abandonné, un radeau de bois échoué –, reliques plus ou moins récentes d’une présence humaine sur le territoire. Un subtil effet de vignette endigue le regard, assombrissant notre vision périphérique pour nous inviter à progresser, avec un émerveillement grandissant, vers le cœur lumineux de chaque pièce. À notre arrivée à la « clairière » de l’œuvre, un sentiment étrange nous envahit, comme si, après une longue journée de marche en forêt, nos yeux fatigués se posaient avec une soudaine netteté sur un objet longtemps espéré, la raison de notre venue en ce lieu.

Les couleurs désaturées baignent ces lieux reculés d’une lumière intemporelle, un thème repris par plusieurs éléments incrustés, reliques plus ou moins récentes d’une présence humaine sur le territoire.

Une mosaïque de trente-cinq polaroïds originaux nous invite dans les coulisses du périple laurentien de l’artiste, offrant un sas de décompression entre les souvenirs recomposés de l’œuvre photographique et la projection onirique de l’installation finale. À nos pieds, sur un lit de sable et de cailloux cerclé d’éclats d’ardoise noire, sont entassées une douzaine de peaux de loup, lovées les unes contre les autres. Suspendu au-dessus de l’ensemble, un essaim de feuilles d’arbres métalliques projette des petites taches de lumière à travers la pièce. L’artiste raconte comment, durant ces étés au lac Labelle, elle entendait souvent les loups couiner et gratter autour du chalet la nuit, attirés par les os et autres restes de table que sa tante laissait pour eux. Elle s’endormait en les imaginant blottis ensemble sous les feuillages, repus, à la lumière du clair de lune. La photographie Esprit des loups (2020) ajoute une dimension chamanique au rêve. On y voit un personnage lumineux vêtu de peaux de loup, qui s’avance à la rencontre du spectateur depuis un sous-bois enneigé.

Le terme éveil revient souvent dans le discours de Chloé Beaulac. Sa réflexion sur le rôle central de la croissance et du bien-être permet de guider notre interprétation de ses pièces peut-être plus dérangeantes. Bien que ses forêts labyrinthiques et paysages désolés puissent en désorienter certains, il est important de concevoir ces images composites pour ce qu’elles sont vraiment : non pas le simple cadrage d’un unique souvenir, mais plutôt des fragments qui composent un paysage mental né de l’interaction dynamique entre différents souvenirs de l’artiste, un portail vers une série de réminiscences augmentées autour des lieux qui ont sculpté son imaginaire.


(Exposition)

CES LIEUX QUI NOUS HABITENT
CHLOÉ BEAULAC
CENTRE D’EXPOSITION DE VAL-DAVID
DU 26 SEPTEMBRE AU 4 JANVIER 2021