« L’INFINI » : une contemplation des futurs possibles au Centre PHI
Du 21 juillet au 7 novembre 2021, le Centre PHI, en collaboration avec Les Studios Felix & Paul, propose en première mondiale à Arsenal l’expérience immersive L’INFINI. Dans cette initiative inspirée par les missions de la NASA, le public est notamment amené à 400 km de la Terre, dans la Station spatiale internationale (ISS). Grâce à la réalité virtuelle, nous pouvons déambuler dans une reconstitution de la station à échelle réelle, tout en découvrant des capsules documentaires présentant le quotidien des astronautes filmés à 360 degrés. Oscillant entre une approche documentaire et artistique, l’ensemble du dispositif, d’une durée d’une heure, est constitué de sept chapitres distincts (1) qui cherchent à évoquer une ascension émotionnelle et métaphorique.
À la pointe de la technologie dans les procédés immersifs, ce parcours en réalité virtuelle et augmentée permet de brouiller la frontière entre le réel et le virtuel en proposant une interactivité avec notre environnement à l’image des jeux vidéo. Chaque personne du public est ainsi représentée par un avatar prenant la forme d’une silhouette humanoïde composée d’étoiles2. Ces doubles virtuels renforcent le sentiment de présence dans cette expérimentation qui devient collective par la possibilité de voir les autres y participer. À noter qu’autour de cent personnes par heure peuvent y assister.
Le public possède ici un vrai pouvoir d’agentivité sur son expérience la rendant unique à chaque visite. Au long du parcours, il est possible d’activer à son gré des courtes capsules documentaires du film réalisé par Les Studios Felix & Paul3 intitulé Space Explorers : The ISS experience (2019). Nominé aux Emmy® dans la catégorie « Programme interactif exceptionnel », il y est présenté un aperçu de la vie des astronautes en orbite. Pour ce faire, 250 heures de vidéo ont été filmées à bord de l’ISS à l’aide de caméras pouvant fonctionner dans un environnement sans gravité4. Il est donc possible d’assister au quotidien de la station et d’être immergé dans des instants anodins, comme se rassembler pour dîner ou encore faire du sport. Ce rapport au banal ouvre la voie à la réflexion sur ce qui nous définit en tant qu’humains et esquisse la perspective universaliste qui se dégage du voyage dans l’espace : le passage de l’individu, avec son identité propre sur la Terre, à celui d’un membre d’un collectif, qui est l’espèce humaine, lorsqu’il la quitte.
L’ensemble du parcours de L’INFINI nous amène à se percevoir comme faisant partie d’un tout. De cette considération de la porosité entre le « qui suis-je? » et le « qui sommes-nous? », cette expérience est à interpréter à l’aune des futurs possibles qui se dessinent pour l’Humanité. Cela permet d’engendrer une réflexion sur notre façon de vivre sur Terre5 et sur notre avenir potentiel dans l’espace.
Ce point est manifeste dans le dernier chapitre de l’expérimentation qui s’intitule « L’origine ». Ce terme renvoie à l’origine de notre monde – et à notre volonté de pouvoir la comprendre –, mais aussi à celle du monde à venir. Cette perspective, qui se retrouve en filigrane dans l’ensemble du parcours, entrevoit une Humanité consciente de la nécessité de préserver notre planète et des actions individuelles et collectives à entreprendre pour en assurer la survie. C’est en outre une espèce humaine tournée vers les étoiles qui se révèle : la conquête spatiale apparaissant comme un défi fondamental d’exploration et de découvertes qui repousse les limites de nos connaissances et de nos compétences techniques.
À la pointe de la technologie dans les procédés immersifs, ce parcours en réalité virtuelle et augmentée permet de brouiller la frontière entre le réel et le virtuel en proposant une interactivité avec notre environnement à l’image des jeux vidéo.
Au-delà de cette contemplation poétique, cette expérimentation nous amène également à considérer les nouveaux paradigmes qui émergent avec l’apport des technologies dans les expositions6. Les procédés immersifs de L’INFINI pourraient favoriser des formes hybrides qui mêleraient la réalité virtuelle et augmentée ou encore le jeu vidéo tout en ayant une visée artistique — notamment par la mise en relation avec des œuvres visuelles7, le discours global et la scénographie. Ces nouveaux potentiels amènent à des questionnements plus larges concernant l’intérêt des technologies dans la rencontre avec des œuvres8 : comment s’assurer de la pertinence de la démarche? Comment ne pas basculer dans l’attraction?9
En nous plaçant ainsi face aux futurs potentiels, L’INFINI incite à la contemplation, à la rêverie et à la réflexion. Cette évasion de nos quotidiens anxieux permet de prendre un certain recul en nous tournant vers les étoiles afin de mieux nous regarder.
(1) Les différents chapitres s’intitulent : L’appel des étoiles, L’embarquement, L’exploration de la Station, Ubiquité et absolu, Ryoji Ikeda, Vortex et L’origine.
(2) Cela n’étant pas sans évoquer la théorie, notamment développée par Hubert Reeves dans Poussières d’étoiles (1984), selon laquelle les atomes qui nous constituent proviennent de poussières d’étoiles.
(3) Le film a été réalisé en collaboration avec TIME Studios, la NASA et le laboratoire national de l’ISS.
(4) Pour en savoir plus sur les technologies élaborées pour filmer dans l’espace voir ISS National Laboratory : https://www.issnationallab.org/implementation-partners/felix-and-paul-studios/
(5) À ce sujet, voir aussi la revue de l’exposition précédente du Centre PHI : Solbes, B. (2020), « Émergences et convergences au Centre Phi : faire partie d’un tout », Vie des arts, https://viedesarts.com/visites/emergences-et-convergences-au-centre-phi-faire-partie-dun-tout/
(6) Pour approfondir, voir l’article de Baillargeon, S. (2021), « L’exposition immersive comme métaphore », Le Devoir, https://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/601181/arts-visuels-l-exposition-immersive-comme-metaphore
(7) On y retrouve l’œuvre de Ryoji Ikeda, intitulée The Universe within the Universe (2021), qui permet au travers d’un écran D.E.L réfléchi dans un miroir de transmettre un sentiment de vertige et d’absence de gravité. L’idée ici est d’évoquer les sensations d’une sortie dans l’espace et la désorientation qu’induit l’appréhension de l’infini qu’elle soit concrète ou symbolique.
(8) Nous pouvons penser à certaines expositions récentes renouvelant le rapport à l’œuvre d’art comme Imagine Van Gogh (présentée à Arsenal du 5 décembre 2019 au 5 avril 2020) ou encore Turner et le sublime, proposée au Musée national des beaux-arts du Québec du 10 février au 2 mai 2021. Voir Baillargeon, S. (2021), Ibid.
(9) Pour approfondir la question de la limite entre l’expérimentation artistique et l’attraction, voir aussi Solbes B. (2020). « Famous Deaths : au-delà d’une représentation visuelle de la mort ». Dans Deveault. A & Lessard. M. (dir.). (2020). Mourir au 21e siècle: entre corporalités et technologies. Montréal : Éditions Yvon Blais, p. 71-89.
(Exposition)
L’INFINI
DES STUDIOS FELIX & PAUL ET STUDIO PHI
ARSENAL ART CONTEMPORAIN
DU 21 JUILLET AU 7 NOVEMBRE 2021