L’exposition que consacre le Musée des beaux-arts du Canada à Alex Janvier vient couronner et reconnaître l’extraordinaire originalité des créations de cet artiste autochtone qui se qualifie comme un des maîtres de la modernité au Canada.

L’exposition Alex Janvier, maître autochtone de l’art moderne comprend près de 250 œuvres (150 peintures et dessins). Le circuit commence par les peintures où, tracées sur une surface blanche, des arabesques aux teintes claires flottent dans l’espace. Puis il y a celles où va partir du centre un réseau de veinules inextricablement emmêlées, évoquant l’intérieur d’un corps ou le mouvement des planètes.

Un peu plus loin, s’offre au visiteur un mur entier composé de cercles, présentés sous le titre global de Cercles de Janvier. Très nombreux, plus de cent en tout, s’y chevauchent des formes stylisées de têtes d’aigles, de larmes, formes ondoyantes comme des serpents, qui exigent un long regard avant de se dévoiler. Au hasard, voici La chanson de l’aigle, avec sa crête vive bien nette ; Castor rouge, toute rouge, entourant la tête brune de l’animal ; Les oiseaux pépient sur une île, d’où ils sont noyés dans un amalgame de lignes qui se chevauchent avant de se séparer comme les multiples bras d’une rivière. On embarque dans un cercle, puis on plonge dans l’autre pour de multiples voyages. Certains sont aérés, d’autres plus denses, et tous, enfermés dans ce format difficile, forment un ensemble rythmique dévalant dans toutes les directions.

Des gestes concentrés allant vers l’au-delà du tableau prêtent ensuite leur grâce à une longue série d’œuvres d’où l’on tire que la vie en pleine nature et où on a le temps de réfléchir, est très riche. Discothèque, par exempleest une joyeuse réussite, exprimée, de plus, dans un lyrisme très contemporain. De 1964, une Femme nue, par où serait passé Duchamp. Le tableau porte, outre sa signature, le chiffre 287, numéro d’un des nombreux traités à sens unique imposés à son peuple. Ce 287 apparaîtra comme signature pendant longtemps et, comme ce qui touche sa propre histoire, la joie en a disparu. On croise ensuite une série d’œuvres sans titre, composées de signes et de lignes où Kandinsky, dont la spiritualité lui est familière, serait à l’aise.

Peu à peu, les compositions vont devenir plus poussées et les dimensions plus importantes. Citons le somptueux Clairon de l’aigle stylisé à la Bill Reid, c’est-à-dire avec juste assez de traits pour en deviner l’image. Abstraction, se dira l’une où pourtant les signes vont se faire à la fois image et rythme. Dans Vieux Rev, l’intention caricaturale n’est pas absente envers le Révérend Père ! Pic bleu s’inspire d’un visage autour duquel des arabesques vagabondent. Rose Alberta, rose comme la rose, procède de la nature réinventée et Fleur de Fort Mac est un délicat dessin d’album à l’européenne. Entrée remarquée, avec ses traits enlevés toutes directions, évoque un véritable ballet-jazz.

Ses Eaux à gros poissons reposent sur l’animation folle des habitants de l’eau qui se devinent sous la surface. Feuille rose, en 2003, rappelle un peu la sensibilité d’un Sam Francis dans les années cinquante, alors qu’O Kanada, œuvre liée à la crise d’Oka, avec comme centre un médaillon fait d’un crâne ouvert dont le cerveau a été rongé, donne à réfléchir.

Quant aux grandes œuvres des dernières salles, s’y regroupent des masses vives de couleur en pleine expansion liées par une série de cercles qui les font danser à un rythme endiablé, dans un but mystérieux, mais qu’avec sa force innée, l’artiste fait bien sentir.

Des panneaux, décrivant l’intention ou le contexte de vie de leur auteur, accompagnent la plupart des œuvres. Un catalogue de Chris Dueker et Lee-Ann Martin, aussi intéressant par les essais de Greg Hill, conservateur de l’exposition, que séduisant par le nombre et la qualité de ses reproductions, est aussi disponible.

On ne peut que féliciter le Musée et son directeur, Marc Mayer, d’avoir organisé cette rétrospective honorant aussi bien le talent que le courage d’Alex Janvier. Même si le défi n’était pas facile à relever dans l’ambiance de suspicion à l’égard des Premières Nations, la sérénité que lui apportait la création a déjoué les astres. Depuis longtemps, musées et collectionneurs achètent ses œuvres. Il a aussi à son palmarès près d’une centaine d’expositions solo, et de nombreuses expositions collectives partout dans le monde. Les honneurs ne lui ont pas manqué non plus, dont l’Ordre du Canada.

« Des contraintes politiques liées à mes origines dénésulines m’empêchent de faire certaines choses, mais je suis néanmoins un homme libre parce que je peux créer », souligne Alex Janvier dans le catalogue. Quant à son souhait le plus cher, c’est de « mourir un pinceau à la main ». l

Alex Janvier tient son nom d’un coureur des bois québécois, mari de son arrière-grand-mère dont il eut 4 enfants avant de disparaître, à cause d’une divergence d’opinions avec sa femme. Il naît en 1935 à Cold Lake, dans la réserve LeGoff, en Alberta, et sera élevé dans la langue dénée que parle sa famille. Enfant, il admire les motifs en perles ou en piquants de porc-épic que brodent les femmes du village et qui donneront naissance à ses premières « broderies » imaginaires. Il aime aussi entendre les aînés raconter leurs histoires, dont il s’imprégnera.

À 8 ans, il est inscrit d’office dans un « pensionnat pour Indiens ». Il ne parle ni anglais ni français mais, heureusement, les vendredis on y donne des cours d’art, « moment de liberté et d’évasion » pour ce surdoué dont on reconnaît déjà le talent. C’est ainsi qu’ornent toujours la chapelle de l’école trois tableaux à sujet religieux agrémentés de motifs indiens qu’il a peints à 15 ans.

Amené ensuite à Edmonton, au St John’s College par un Père, il y rencontrera le professeur Carlo Altenberg, qui va l’encourager à devenir peintre et lui enseigner les bases de l’art. « Ne lis pas, regarde les images ! » lui disait-il en le voyant feuilleter les livres pleins de reproductions de la bibliothèque.

Revenant chez lui chaque été, Janvier allait avec sa mère poser des collets à lapins ou chasser le canard, développant en même temps ses dons d’observation et son respect pour la nature nourricière. « Je crois que nous sommes les gardiens de la terre », ne cesse-t-il de dire. « Tout ce qui était essentiel à notre survie  en venait. » Cette pensée, qui domine son œuvre, n’allait pas faire de lui un grand ami des prospecteurs pétroliers et autres prédateurs des sols !

Il y a quelques années, Alex Janvier a ramené sa propre famille à Cold Lake et il continue à peindre dans l’atelier qu’il s’y est construit. De plus, fils du dernier chef héréditaire, il est aujourd’hui le porte-parole de son peuple auprès du gouvernement du Canada.

Alex Janvier, maître autochtone de l’art moderne
Commissaire : Greg Hill, conservateur Audain de l’art indigène
Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa
Du 25 novembre 2016 au 17 janvier 2017