« Ce qui caractérise la récente phase de création de Marcel Barbeau, c’est l’équilibre pictural, la légèreté de l’écriture, le flottement… », déclare Ninon Gauthier, historienne de l’art et femme de l’artiste. En effet, les peintures des années 2011-2015 sélectionnées pour la rétrospective marquant les 70 années de carrière de Marcel Barbeau à la Galerie Michel-Ange témoignent d’une étonnante fraîcheur — on serait tenté de parler d’une incroyable jeunesse — chez un homme qui a célébré ses quatre-vingt-dix ans. Il innove encore en introduisant dans ses compositions de nouveaux motifs qu’il répartit de manière à susciter l’illusion du mouvement. Il appelle le regard, il sollicite l’attention et séduit l’œil. Car Marcel Barbeau reste encore le plus séducteur des signataires du manifeste Refus global (1948). Enfin, honoré des plus prestigieuses distinctions (Prix du gouverneur général du Canada et Prix Paul-Émile-Borduas en 2013, Ordre national du Québec au printemps 2015), il ne se repose pas sur ses lauriers.

L’artiste, malgré l’affaiblissement physique dû à son âge, reste maître de son énergie créatrice. Accompagné de son épouse, il est également aidé par un jeune sculpteur français qui entoure l’artiste des meilleures conditions, pour qu’il puisse exercer au mieux son travail quotidien. « Son esprit est toujours en alerte », se réjouit sa conjointe, qui enchaîne : « La passion, c’est ce qui maintient Marcel Barbeau. Quand il s’approche du chevalet, ses yeux s’éclaircissent : il semble alors répondre à une sorte d’urgence. » Au cours de ces récents mois de recherche picturale, comme toujours la littérature et la musique sont demeurées au rendez-vous. Ninon Gauthier explique : « Marcel lit les œuvres de Marie Uguay, Hélène Dorion, Paul Éluard. » Autant que par le passé, son œuvre entretient d’ineffables rapports avec la musique moderne : il écoute Stockhausen, Boulez, Dufour, Messiaen… Ses champs chromatiques s’accordent au diapason des signes, des éclats et des taches sonores qu’il transpose dans son espace pictural.

« Au fil de sa carrière, Marcel Barbeau est allé au bout de lui-même, parfois contre les attentes du marché de l’art », commente Ninon Gauthier. Il est vrai que l’artiste ne s’est pas laissé emprisonner par une formule picturale ou par une marque personnelle systématiquement reconnaissable, il a mené ses explorations à son gré, quitte à rester parfois incompris. Voilà ce dont témoigne la sélection d’œuvres qui s’échelonnent sur quelque soixante-dix ans1. Ninon Gauthier ajoute : « L’émerveillement, c’est sa signature. Le flottement des formes et leur délicatesse, leur éparpillement et leur interaction, c’est aussi leur force ». Depuis 2011, les toiles de Barbeau réunissent ces caractéristiques. Lune en notre mémoire (2013), Sur la route de Cordoue (2014), Chevelure d’or clair (2014), sans exception — et avec une égale qualité — font preuve d’un envol lyrique très contrôlé, toujours en cohérence avec les autres périodes de création de l’artiste. Pour lui, l’œuvre est un projet de vie. « Pour choisir des titres [qui renforcent la signification poétique des œuvres], il ouvre le dictionnaire et il fait des associations de mots et d’images », indique Ninon Gauthier. Un procédé à saveur surréaliste… Comme ses tableaux qui entretiennent des rapports entre eux, à la façon des mouvements qui s’enchaînent dans une suite musicale.

La période que traverse Marcel Barbeau pourrait être perçue comme un projet de synthèse. Un de plus. Car au cours de sa carrière, il a toujours accompli un va-et-vient entre le geste, la tache et les formes géométriques. Actuellement, il utilise la tache et les couleurs complémentaires pour susciter une vibration lumineuse ; dans certaines toiles, il place les motifs le long des marges — ou encore il les glisse vers les marges — « afin de défier les limites de l’espace pictural », commente Ninon Gauthier. Les images à l’intérieur même des taches — ainsi que la disposition des marques plus petites dans les toiles intitulées Sur la route de Cordoue, Éclat bleu-fauve, Chevelure d’or clair — entretiennent mutuellement des rapports analogiques qui suggèrent des configurations fractales. La grande respiration de l’espace plastique et l’agitation subtile qui court à la surface de la composition impressionnent celles et ceux qui observent les créations de Marcel Barbeau. « La joie est très importante dans son œuvre. Sa peinture constitue un acte de victoire contre les infortunes de la vie », conclut Ninon Gauthier.

MARCEL BARBEAU DYNAMIQUES DU REGARD : 1945-2015. Exposition rétrospective du 70e anniversaire de carrière de l’artiste. Galerie Michel-Ange (Montréal). Du 18 octobre au 18 novembre 2015.