Les photographies de Mimmo Jodice fascinent. Elles hypnotisent. Elles captent non pas le regard, mais le regardeur. Complètement. Dans son être profond.

Devant une photographie de Mimmo Jodice, le visiteur ne peut que plonger, s’abandonner et se laisser guider. Il n’a pas d’autre choix, tant les lignes de composition sont fortes. Dans Boston (2001), il suit la silhouette qui s’éloigne dans une rue, à la limite de l’ombre des immeubles (une des deux seules présences humaines de tout le corpus), et parcourt lui aussi l’artère jusqu’à la ligne d’horizon, obturée. À Montréal (2012), il embarque pour la Rive Sud, empruntant le pont vers la droite avant d’être redirigé vers la gauche. Dans New York (1985), les multiples verticales, légèrement inclinées, dirigent le regard de bas en haut tandis que, à Paris (1993), il dévale sans cesse le long des verrières du trou des Halles, comme un torrent.

Mais ce qui caractérise le plus les photo­graphies de Mimmo Jodice, c’est le mélange, à première vue incompatible, d’immobilité et de mouvement, de silence et de clameur.

Une photographie est par essence immobile, figée, et pourtant le visiteur de l’exposition Villes sublimes est happé par une sensation de mouvement. Cette perception provient en partie du floutage des premiers plans, mais également des premiers plans eux-mêmes : pavés, routes, chemins sablonneux, étendues d’eau, piquets, gouttelettes de pluie, rideaux, grilles de fer, arbres et arbustes. Ces éléments, véritables obstacles quelquefois – comme la palissade qui cache le Kremlin –, constituent un espace à traverser pour atteindre le monument ou l’objet du cliché – car pour Mimmo Jodice, tout prend valeur de monument.

Une photo de Venise, cependant, fait exception : un ponton de bois, entouré de pieux, barré à son extrémité. Là, le premier plan ne mène nulle part, le regardeur reste coincé sur ces planches de bois. Entouré de brouillard, il ne peut distinguer le ciel de l’eau. Le point de fuite se trouve au centre exact de la photo de format carré. Si la structure diffère par l’absence d’édifice, l’effet ressenti est le même que pour les autres œuvres : l’observateur est aspiré, privé de toute résistance. L’immobilité apparente se traduit là aussi en déplacement.

Ainsi, derrière l’immobilité apparente s’impose le mouvement. De même, derrière le silence apparent s’élèvent les clameurs de la ville, de ceux qui l’habitent et de ceux qui l’ont construite, pierre par pierre, qui l’ont modelée telle qu’elle apparaît à l’observateur, telle que la révèle Mimmo Jodice. « Je fais des photos silencieuses », affirme le Napolitain. Certes, mais comme peut l’être un arrêt sur image dans un film, alors que le spectateur sait que le mouvement et le bruit vont reprendre. Temps suspendu, respiration coupée. Le tramway immobilisé dans une rue de Lisbonne ne va pas tarder à débouler, dans un vacarme de ferraille. Dans ce sens, le photographe participe à la mémoire collective, ses œuvres sont politiques, comme l’a noté Mariella Pandolfi au cours de la table ronde organisée par la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. « Je fais des photos sociales. Derrière chacune, on ressent mon malaise par rapport à la vie ; j’éprouve un espoir perdu, et dans cette perte, il y a une colère froide, confie l’artiste italien dans le film Mimmo Jodice (2000) projeté au Musée McCord début novembre. Qui voit mes photos regarde mes pensées. »

Décidé par l’artiste lui-même, l’accrochage des 53 œuvres est particulièrement réussi. Au lieu d’opter pour un regroupement par ville, qui aurait complètement dénaturé son propos (les œuvres de Mimmo Jodice ne sont pas des photographies de voyage), l’artiste a lié ses clichés par des similitudes, des rappels, des formes. Ainsi, les coupoles de Naples voisinent avec celles de la cathédrale-basilique montréalaise ; deux monuments de Moscou se côtoient, l’un se reflétant dans la Moscova, l’autre dans une route détrempée rappelant une rivière ; des boules de pierre au premier plan unissent Tokyo, Milan et Naples, tandis que les pieux de Venise rappellent les armatures verticales des verrières des Halles parisiennes. Plus loin, l’arrondi d’un projecteur à São Paulo dialogue avec les verticales des Twin Towers de New York et le triangle de la pyramide du Louvre, de même que l’arrondi de la bretelle d’accès du pont Jacques-Cartier fait écho à celui d’une piscine à São Paulo.

En acceptant l’invitation du Musée McCord, Mimmo Jodice revient sur le sol nord-américain après plus de dix ans d’absence (sa précédente exposition s’y est tenue au Mass Art de Boston en 2001) et, pour sa première exposition personnelle au Canada, il offre à Montréal une place à l’égale de celle des plus prestigieuses métropoles internationales. 

MIMMO JODICE VILLES SUBLIMES
Commissaire : Hélène Samson
Musée McCord, Montréal
Du 11 octobre 2012 au 3 mars 2013