Mirabelle Ricard
L’instant unique
Avec son appareil photo, Mirabelle Ricard capte l’instant pur : celui qui ne se reproduira jamais plus. Les moments qu’elle immobilise ainsi proviennent de circonstances qui oscillent entre événements et avènements.
Photographe de rue, Mirabelle Ricard repère des scènes qui font partie d’une fête, d’un attroupement ou de la simple réunion professionnelle ou amicale de plusieurs personnes : elle en capte une ou plusieurs vues qui témoignent du phénomène événementiel et qui le figent en quelque sorte pour constituer un souvenir, une trace documentaire, une épreuve archivable. Dans la rue également, elle se présente ouvertement comme une photographe. Elle se met en relation avec les sujets qu’elle souhaite photographier. De l’interaction qui naît alors, elle tire une image qui reflète un moment qui n’était pas prévu, qui se situe un peu en marge de la vie courante des personnes en cause. L’artiste a fait advenir un geste, une expression corporelle, un sourire, une grimace, signes indubitables de ce qui s’est passé à la suite de son intervention.
Les images que donne à voir Mirabelle Ricard sont en bonne part les fruits du hasard. Il en va de même avec ses lumens, photographies « expérimentales » qui tirent parti d’une technique qui remonte aux débuts de la photographie et qu’elle applique essentiellement pour produire des images de fleurs (tiges, feuilles, pétales) dont elle révèle la « délicatesse ». Mais c’est d’un ingénieux stratagème de mise en scène que résultent ses lumens. Leurs compositions semblent hésiter entre la photo scientifique – le cliché d’une préparation comprimée entre lame et lamelle grossie au microscope – et le cliché dont le cadre délimite un cercle destiné à mieux cerner ou à mieux mettre en valeur ce qu’il y a à voir. Le principe du procédé lumen consiste à produire une image dont les éléments ont été traversés par la lumière et qui ne résulte donc pas de la réflexion de la lumière. Il suppose des durées prolongées et surtout indéterminées d’exposition et l’impression sur des feuilles de papier RC ou fibre de sensibilités variables. « Les résultats sont en partie aléatoires », souligne Mirabelle Ricard. Elle ajoute : « C’est ce qui en fait tout le charme créateur ».
Artiste de rue, artiste de laboratoire, Mirabelle Ricard accepte ces deux étiquettes. Elles la désignent comme une artiste photographe que ne limitent ni une école de pensée ni une technique particulière. Son exposition À contre-courant présentée à la Galerie du Viaduc affiche sa détermination à s’opposer à plusieurs courants qui tendraient à abolir la valeur du photographe en tant qu’artiste et la photographie en tant qu’œuvre d’art. Elle est composée d’une quarantaine de photographies qu’elle a prises à Cuba au cours de l’été 2015. Les scènes qu’elle a croquées à travers son objectif témoignent de la phase de transition que traverse la société cubaine. Il s’agit d’un moment historique qu’elle a eu le privilège de suivre. Les photos qu’elle a rapportées de son séjour ne sont pas des clichés de reportage, mais des photos qui relèvent de l’art documentaire. Les images de Mirabelle Ricard s’érigent comme des instants singuliers (choisis, cadrés, éclairés) surgis au bonheur de ses déplacements et de ses rencontres. Heureuse coïncidence que le climat de détente et de transformation de la société cubaine qui sert de fond aux instants captés par la photographe, car ni ce climat ni ces instants ne se reproduiront.
À la vérité de ses images de rue où se lisent les émotions universelles de joie, de tendresse, d’ennui, d’entraide, d’ivresse, à la vérité de ses compositions formelles de laboratoire où éclatent des jeux de couleurs surprenants, Mirabelle Ricard oppose « une autre vérité », celle de la fantaisie. En effet, elle incruste des personnages, et même des arbres, qui n’existent pas dans des scènes de promenade au parc La Fontaine datées de 1890, 1910. Elles sont imprimées sur des bannières (cartes postales géantes) suspendues à l’Espace La Fontaine.
À Cuba, à Montréal ou ailleurs, il faut, Au pas des arbres, suivre Mirabelle Ricard.
MIRABELLE RICARD À CONTRE-COURANT
Galerie du Viaduc, Montréal
Du 22 au 29 septembre 2015
AU PAS DES ARBRES DÉLICATESSE
Commissaire : Thérèse Drapeau
Espace La Fontaine, Parc La Fontaine, Montréal
Du 30 septembre au 8 novembre 2015