Le monde de la taxonomie passionne certains artistes, parmi lesquels Philippe Caron Lefebvre. En balisant le monde, il croise les formes et de ce fait en invente de nouvelles. Lecteur de Darwin et de Léonard de Vinci, il adopte la posture de l’artiste-chercheur.

D’autres avant lui ont réfléchi à des instances classificatrices : musées, dictionnaires… Ainsi, le Belge Marcel Broodthaers avait créé un musée fictif, le Musée d’art moderne. Département des Aigles, qui interrogeait la fonction muséale même, non sans revenir à la forme primitive de la collection, le cabinet de curiosités. Des objets très divers y étaient rassemblés avec un seul point commun : l’aigle. Les installations de l’artiste étatsunien Mark Dion recomposent des musées d’histoire naturelle ou des écosystèmes naturels dans un but didactique proche de celui de Broodthaers : les systèmes de classement sont artificiels, mais ils nous aident à comprendre leur objet d’étude. D’autres artistes s’intéressent aux mots, comme Rober Racine, avec ses œuvres sur le thème du dictionnaire et son Parc de la langue française.

Caron Lefebvre, toutefois, procède à un autre type de taxonomie : celle qui s’intéresse aux formes et aux couleurs. Il dresse des répertoires tridimensionnels de formes, qu’il emprunte souvent à la nature, plus spécifiquement à la faune et à la flore, et les dispose de façon à les ordonner par genre, par couleur, par matériau… Il ne se limite pas à la reproduction de formes existantes, mais les combine, les multiplie, pour accéder à une autre réalité, un autre univers.

L’exposition actuelle marque l’aboutissement d’un cycle de production et de diffusion, culminant en 2018 et 2019 avec une exposition à Plein sud, une autre à la Galerie Nicolas Robert et une résidence à Art Omi, dans l’État de New York.

La présentation sur de grandes tables blanches accentue l’effet de systématisation et de classification. Le registre des textures est large : du doux au piquant, du soyeux à l’acéré, du lisse à l’effiloché. Certaines tables sont plus uniformes, et c’est l’éclairage aux tonalités changeantes qui procure la variété, rompt la dimension trop ordonnée ou la disposition quasi muséale des objets. Les objets voisinant les uns avec les autres, il est loisible de les comparer et de les différencier, de constater les textures et les nuances moirées des céramiques, les épaisseurs et les assemblages du carton ainsi que les découpures des tissus.

L’une des tables d’ordonnancement montre une série de découpages tridimensionnels aux formes aiguës. Emprunt aux silhouettes côtières travaillées par la mer et le vent ou inspiration tirée des flammes, cet assemblage porte davantage la marque de la recherche et de l’expérimentation, flirtant avec l’abstraction. Dans l’exposition, l’oscillation entre figuration et abstraction permet de capter le regard.

Le Maître mauve télékinétique (2018)
Céramique, glaçure et peinture, 29 x 20 x 15.5 cm
Photo : Louis Étienne Doré

Cette attitude de chercheur-créateur peut en fin de compte mener à la mise en place d’un corpus global, j’oserais même dire d’une possibilité utopique, un peu à l’image de ce que fait l’artiste argentin Tomás Saraceno avec son concept d’aérocène, époque qui succéderait à l’anthropocène. Quant à Caron Lefebvre, il évoque plutôt la science-fiction, ce qui n’est pas incompatible, en tant que productrice de narration utopique ou dystopique.

L’exposition actuelle marque l’aboutissement d’un cycle de production et de diffusion, culminant en 2018 et 2019 avec une exposition à Plein sud (Longueuil), une autre à la Galerie Nicolas Robert (Montréal) et une résidence à Art Omi, dans l’État de New York. Quelle sera la prochaine investigation de l’artiste?


Cycles
Philippe Caron Lefebvre
Maison de la culture Claude-Léveillée, Montréal
Du 31 août au 13 octobre 2019