Ce que donne à voir Raymonde Godin vous saute au visage. C’est dire combien sa peinture se définit par sa frontalité.

Résolument abstraites, certaines des compositions de Raymonde Godin sont chargées de motifs dont les variations (forme et couleur) et la régularité rythmique revêtent le caractère de suites musicales. D’autres compositions, au contraire, sont sillonnées d’enchevêtrements, parfois dépouillés, parfois très touffus, qui évoquent des paysages où prédominent branches, buissons, taillis, fourrés, clairières…

Que l’on comprenne bien ici que la peinture de Raymonde Godin, sous prétexte qu’elle suggère une certaine musicalité ou encore quelques vues forestières, ne se donne pas pour autant comme une peinture de représentation. Cette peinture se range dans la catégorie de l’abstraction gestuelle, abstraction souvent lyrique. Dans ce registre, contrairement, par exemple, à certains de ses illustres confrères (Riopelle, Pollock, McEwen), qui, comme elle, pourraient se réclamer de l’école de la frontalité, Raymonde Godin sature rarement ses feuilles de papier ou ses toiles d’empâtements de couleurs. Elle perce des ouvertures et le pourtour demeure libre.

Le propos des encres, aquarelles, acryliques de Raymonde Godin traduit la paradoxale profondeur de l’espace pictural. C’est pourquoi les compositions de l’artiste se présentent comme des superpositions d’interventions gestuelles, de mouvements appliqués avec force, le pinceau à bout de bras. Nulle opacité ne résulte pourtant de ce travail. Car la plasticienne entretient le souci de préserver la transparence des choses. À cette fin, elle ménage des espaces franchement blancs (interstices, brèches, trouées…) ou bien des zones en demi-teintes (brumes légères, effets de luminosité discrète…). Et voici que resurgit le paysage ou, si l’on préfère, la matérialité d’une nature farouche que la touche picturale conduit le regard à apprivoiser.

Crayon à l’huile sur papier, calque et papier, 2016. 41 x 29,5 cm

Il faut savoir que Raymonde Godin vit en France. Elle y expose ses œuvres. Elle les expose aussi au Québec où elle séjourne régulièrement. Elle se montre évidemment sensible à l’environnement qu’elle retrouve chaque fois. Il n’est donc pas exagéré d’estimer que sa peinture en témoigne. Toute abstraite qu’elle soit, rien n’empêche d’y distinguer l’épaisseur d’une forêt, le désordre d’un bouquet d’arbres, l’opiniâtre résistance d’herbes rebelles, la pente d’une colline, les clartés diffuses de clairières, des rais de lumière qu’agite le souffle têtu d’une brise, des éclats de soleil, les éclaboussures d’une rivière agitée ou les eaux calmes d’un étang. Ainsi, Raymonde Godin peut très légitimement écrire : « Peindre recrée aussi la terre natale. »

La peinture terrienne de Raymonde Godin a pour contrepoids la légèreté aquatique bien que tourmentée de ses encres et de ses aquarelles. Les compositions, cette fois, sont porteuses de jeux d’écriture. Les lignes où des signes calligraphiques se précipitent côte à côte puis les uns au-dessous des autres forment des ensembles qui rappellent des paragraphes où dansent ou bien où s’agitent des idéogrammes. Ils sont suffisamment espacés pour ne pas manquer d’air, mais c’est l’œil qui respire et qui se fraye des passages ; c’est l’œil qui vagabonde. Comme l’artiste. Au gré de ses promenades scripturales, elle brosse ou griffe la page. Alors saillent, hirsutes souvent, des touffes d’herbes plus folles que rétives. La terre chez Raymonde Godin n’est jamais très loin.

Notes biographiques

Raymonde Godin est née en 1930 à Montréal. Diplômée de l’Université Concordia, elle s’installe à Paris en 1954. Elle mène une carrière fructueuse en alternance entre le Québec et la France. Elle expose donc ses productions en Europe et au Canada : plus d’une trentaine d’expositions individuelles et une cinquantaine d’expositions collectives. Ses œuvres font partie de collections d’établissements publics et de grandes entreprises privées.

À Montréal, Raymonde Godin est représentée par la Galerie Éric Devlin.