Retour sur la 3e édition de la Triennale Banlieue!
Événement phare de la culture à Laval depuis son avènement en 2015, la Triennale Banlieue! nous revient avec une édition où la géographie s’allie aux arts visuels pour explorer la cohabitation de l’humain avec le territoire. Se déployant à la Maison des arts de Laval ainsi que dans plusieurs lieux intérieurs et extérieurs de l’agglomération, la sélection de la commissaire Marie Perrault, enrichie par l’apport du géographe et co-commissaire Yan Romanesky, témoigne d’une pluralité de points de vue sur la nature dans un contexte suburbain, fortement teintés de considérations écologiques.
La Triennale Banlieue!, dans son itération actuelle autant que dans ses éditions antérieures, réussit fort bien à éviter de creuser plus que nécessaire le stéréotype de la banlieue moribonde, ville-dortoir au service de la métropole voisine. Ici, seules les œuvres vidéo de Marie-Suzanne Désilets (Apparitions/disparitions, 2022) suivent quelque peu ce filon, présentant une succession rapide d’images de maisons typiques des banlieues. Par un habile choix scénographique, les projections de cette série sont dispersées à différents endroits de la Salle Alfred-Pellan, augmentant l’impression d’être face à l’archétype de la maison modèle répliquée ad nauseam. L’approche documentaire de Désilets trouve un écho dans le travail photographique d’Andreas Rutkauskas consacré aux banlieues de l’Ouest canadien ravagées par des feux de forêt (Living Through Wildfire, 2017- en cours), illustrant les dangers de l’empiétement constant du développement immobilier sur les zones naturelles.
L’empreinte problématique, sinon carrément destructrice, de l’être humain dans la nature traverse l’exposition en filigrane, sans toutefois être trop appuyée. Les commissaires préfèrent manifestement que des œuvres plus nuancées évoquent sans moralisme ni didactisme la complexité de notre relation tantôt anxieuse, tantôt désinvolte à la crise écologique. Dans Ghost Birds (2019), Graeme Patterson met en tension les traces d’oiseaux ayant percuté des fenêtres avec des intérieurs ornementés de motifs naturels, métaphore d’un rapport ambivalent avec la nature véritable dans un monde domestiqué. Sous des apparences plus ludiques, Richard Ibghy et Marilou Lemmens rendent compte, dans leur Bibliothèque d’outils communautaire pour les oiseaux (2021), de l’imposante quantité de déchets avec lesquels la faune doit apprendre à composer. Près de l’entrée, l’installation Afin d’éviter tous ces nœuds (2017) de Ludovic Boney traite également de ce que l’activité humaine, plus particulièrement ses désirs consuméristes, laisse derrière. Activés par le déplacement des spectateurs et des spectatrices sur une plateforme qui ondule, des fanions faits de sacs de plastique reproduisent l’effet de longues herbes, ou plus tristement, de déchets à usage unique, balayés par le vent. Cette image mentale trouve une résonnance dans l’œuvre vidéo de Louise Noguchi, Searchers (2016), une longue séquence contemplative où des ronces sauvages roulent dans différents paysages de la banlieue ontarienne, à la manière d’un film western. Les images hivernales mettent en évidence la vaste étendue suburbaine, restituant un peu du rêve de grandeur des banlieusards tout en révélant subtilement les traces de ce qui a été détruit pour en arriver là.
Plutôt que de traiter des banlieues de manière générique, en tant que concept partagé par les sociétés nord-américaines, plusieurs œuvres s’intéressent au contexte local des interventions qui s’inscrivent dans le tissu social lavallois.
Plutôt que de traiter des banlieues de manière générique, en tant que concept partagé par les sociétés nord-américaines, plusieurs œuvres s’intéressent au contexte local des interventions qui s’inscrivent dans le tissu social lavallois. Sophie Aubry et Deborah Margo présentent respectivement un laboratoire d’aquaponie mobile et un jardin collectif investissant un espace attenant au stationnement de la Maison des arts. Dans les espaces extérieurs se trouve également une installation sonore d’Eugenia Reznik autour de plants de pommes de terre, où peuvent être entendues les voix de Lavallois et Lavalloises relatant la place particulière de cet aliment dans la culture québécoise ainsi que dans leurs souvenirs personnels. Ces trois propositions ont en commun de reposer sur la participation citoyenne pour faire émerger les œuvres ; elles visent à sensibiliser aux possibilités de réactiver des espaces considérés indésirables ou impropres à l’agriculture, repoussés des banlieues par l’urbanisation. L’éducation populaire chez Aubry, qui parcourt les communautés avec des ateliers itinérants, la collecte d’espèces provenant de jardins divers chez Margo et l’enregistrement de témoignages chez Reznik participent également d’une même volonté de rendre visibles les personnes qui habitent ces banlieues dans leurs individualités, plutôt qu’en tant que groupe uniforme et parfois stéréotypé. Cela est aussi manifeste dans l’œuvre de Marie Côté, rendant hommage à Yvon Forget, producteur agricole émérite ayant milité pour la sauvegarde des terres arables de l’île Jésus. L’argile utilisée par l’artiste provient des fermes que la famille Forget opère toujours.
En conclusion de ce panorama fertile, dont nous brossons à regret un portrait fragmentaire, soulignons l’ampleur du programme d’activités complémentaires gratuites, présentées jusqu’à la fin du mois d’octobre. Rassemblant les artistes, les commissaires, une variété de scientifiques ainsi que le public, elles témoignent à la fois de la richesse du thème proposé et de la pertinence de la triennale, qui continue de s’imposer comme un incontournable.
(Événement)
Triennale Banlieue! Interrègnes
Du 31 juillet au 30 octobre 2022
Commissaires : Marie Perrault
Co-commissaire : Yan Romanesky
Artistes : Sophie Aubry, Michael Belmore, Ludovic Boney, Marie Côté, Marie-Suzanne Désilets, Nicolas Grenier, Richard Ibghy et Marilou Lemmens, Catherine Lescarbeau, Deborah Margo, Louise Noguchi, Steven Orner, Graeme Patterson, Boris Pintado, Ariane Plante, Ross Racinne, Eugenia Reznik, Andreas Rutkauskas, Scenocosme, Lisa Sfriso