Fruit de plusieurs voyages que Richard Mosse a effectués entre 2010 et 2013 en République démocratique du Congo, l’installation The Enclave regroupe photos et vidéos. Présentée en 2013 au pavillon de l’Irlande lors de la Biennale de Venise, l’œuvre est proposée pour la première fois au Canada.

Depuis 1998, le Congo est en proie à de violents affrontements entre l’armée et les forces rebelles du nord du pays. Résidu de la guerre au Rwanda, ce conflit a déjà fait plusieurs millions de morts et a déplacé tout autant de réfugiés. Il reçoit peu d’échos de la part des médias depuis ses débuts : voilà ce qui a poussé l’artiste à se rendre sur place.

En 2012 et 2013, accompagné du réalisateur Trevor Tweeten et du musicien Ben Frost, Mosse retourne sur les lieux, animé de la ferme intention de ne pas se limiter à documenter le conflit. Il se munit de pellicules Kodak Aerochrome, qui ont la particularité de faire apparaître la végétation en rose fluo. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce type de pellicule servait à démasquer le camouflage de l’ennemi. Dans les années 1970, il fut utilisé par les cinéastes de la mouvance psychédélique. Le recours à cette pellicule permet à Richard Mosse de dépasser l’enregistrement d’un simple fait de guerre, et donc de marquer la distinction entre le photojournalisme et l’œuvre d’art. De plus, ce mode de captation interroge notre rapport aux images de massacres dans un temps médiatique accéléré. L’art devient-il le médium nécessaire à la construction d’un récit complet et construit à partir d’un fait ?

En guise de préambule, la première salle de l’exposition présente trois photographies grand format. Comme un manifeste, elles tracent la ligne directrice de l’installation. D’abord, un paysage de montagnes imposantes, où le rose écarlate surgit et envahit l’espace (Love Is The Drug). À sa droite, un soldat en armes tient un nouveau-né ; la photographie est intitulée La Madone et l’Enfant, en référence à La Madone d’El Arrach, célèbre portrait réalisé pendant la guerre d’Algérie qui montre une femme en pleurs après la perte de plusieurs membres de sa famille. Ce tirage rend bien compte de l’intention de Mosse qui, en choisissant de situer son cliché dans l’histoire du photojournalisme, en prend le contrepied. Ce parti pris adresse une forme de critique à l’endroit des médias, incapables de créer les conditions nécessaires à une compréhension globale et structurée d’un sujet aussi violent.

L’installation est, quant à elle, constituée de six écrans qui se répondent en alternant des séquences du film. Quatre d’entre eux sont placés en cercle et invitent le spectateur à entrer directement dans le dispositif. C’est au cœur d’une végétation luxuriante, dense et mystérieuse que Mosse plonge le spectateur. L’abondance des couleurs vives que la pellicule transmet confère un aspect surréel, onirique, à l’œuvre. Le jeu de couleurs opère une distanciation et reprend l’intention première de cette technique : faire apparaître le non-visible.

Tantôt plongé au cœur de la jungle, tantôt surplombant un paysage aux allures romantiques, qui rappelle ceux de Caspard David Friedrich, l’artiste place ses protagonistes. Ceux-ci, sous l’œil de la caméra, deviennent alors les acteurs de leur propre terreur. Si les images témoignent des ravages de cette violence, celle-ci n’apparaît jamais. Le récit, fragmenté par le jeu des écrans, oblige l’observateur à construire sa propre narration en naviguant d’image en image. Dès lors, le message ne relève plus de la simple émotion, mais suscite bien des interrogations. Ce parti pris subjectif est souvent reproché à l’artiste, soupçonné d’esthétiser la guerre. Mais sous la réalité, dure, crue, surgit le message qu’on ne sait plus voir, éblouis que nous sommes sous les flashs d’information. En donnant du relief, de la couleur, des formes à cette guerre, Richard Mosse espère déclencher une réflexion critique sur notre époque médiatique. Remettre de l’imaginaire dans le réel est le tour de force nécessaire pour contourner les écueils que fabrique l’information traditionnelle. 

RICHARD MOSSE THE ENCLAVE
DHC/ART, Montréal
Du 16 octobre 2014 au 8 février 2015