Déchiffrer, réfléchir, observer, compléter, imaginer et écouter sont les actions que nous amène à entreprendre Communes mesures, cette exposition déployée au Musée d’art contemporain des Laurentides qui est le fruit de plus d’une année de résidence de Raphaëlle de Groot. Collecter, collaborer, performer, disposer, discuter et écouter sont les actions que l’artiste effectue à travers deux volets : Lab.observatoire de la mobilité et La grande marche des petites choses.

Le premier nous accueille avec une table oblongue où sont disposés des petits objets insulaires, des crayons moulés, des papiers-notes colorés, un cahier ouvert, des formes découpées ; une trame sonore nous accompagne. C’est une discussion, les mots flottent dans l’air et font écho à ceux sur la table. Né d’ateliers d’abord menés par De Groot au Brésil en novembre et en décembre 2018, ce laboratoire est la cristallisation amovible de l’état actuel de son projet de résidence longue durée. Il s’articule autour d’une question proposant une direction dans les échanges entre les artistes et les participantes et participants : « Qu’apporterais-tu dans tes bagages vers l’inconnu ? » Une question révélatrice, grande ouverte, qui vaut la peine d’être posée. Ce laboratoire a permis à l’artiste d’entrer en dialogue direct avec d’autres organisations de Saint-Jérôme: Les Impatients qui ont été accueillis au Musée pour des ateliers de création, le cégep de Saint-Jérôme et ses élèves participant aux cours de francisation, ainsi que l’Atelier Éclipse, une entreprise d’insertion sociale et professionnelle. Le Lab.observatoire s’est également déroulé via un dispositif de vidéoconférences ; ce dernier est devenu un point de rencontre entre l’artiste, le public et l’équipe du musée qui ajoutait une réflexion sur les nouveaux départs : « Comment se mettre en mouvement et se mobiliser autour d’un recommencement ? » De ces rencontres en ligne d’environ quarante-cinq minutes ont été tirées des unités de « mesures » transportées physiquement par l’équipe muséale : des fils noirs, étiquetés et de différentes longueurs ont été pendus ; certains sont courts (une personne apporterait le fil représentant « l’enseignement » dans ses bagages, qui mesure 24 millimètres, la longueur du diamètre de l’œil humain), et d’autres plus longs frôlent le sol (celui pour « l’ouverture des bras » mesure 65 pouces, « pour accueillir quelque chose de nouveau »). Les notions de mobilité et de recommencement servent donc ici de base pour une conversation collective, mais agissent d’autant plus comme tremplin de réflexion pour étudier des états d’esprit face à l’épreuve et à ce que l’on ne connaît pas.

En résonance formelle avec la table de la première salle, une longue traîne se déploie dans la salle suivante. Résidu d’une marche performative qui a eu lieu à Paris, La grande marche des petites choses, la traîne agit comme un support d’accumulation et arbore des images en miroir où sont greffés de petits objets : on y décèle un lac, un tuyau et des bâtiments qui forment une longue colonne vertébrale. Réalisé dans le cadre de la Nuit blanche 2019 à Paris, le parcours de cette grande marche et le geste performatif qui la compose sont le résultat d’entretiens et de recherches menés avec des habitants de Clichy-sous-Bois/Montfermeil, des jeunes isolés du Foyer Concorde de Montfermeil, des personnes en situation de vulnérabilité hébergées aux Grands Voisins (un site d’occupation temporaire axé sur l’inclusion sociale) et divers acteurs ou observateurs du territoire, dont des artistes des Ateliers Médicis. Débutant à Clichy-sous-Bois/Montfermeil et se terminant cinq jours plus tard aux Grands Voisins à Paris, le projet suit le tracé invisible de l’aqueduc de la Dhuis – qui amenait l’eau potable à Paris jusque dans les années 1990 – en reliant, entre deux chantiers urbains, celui observé à Clichy-sous-Bois/Montfermeil (avec la construction du métro et l’arrivée du tram) et celui des Grands Voisins (la construction d’un écoquartier). La déambulation servait aussi de lieu pour une série d’activités exploratoires : à un moment, les participantes et participants étaient encouragés à regarder le quartier qui les entoure et à collectionner les objets qui se trouvaient autour d’elles et eux ; à un autre, l’artiste observait le secteur à travers les yeux des personnes locales qui lui présentèrent leurs endroits chéris. À travers La grande marche des petites choses notre regard se voit détourné ; ce que nous voyons est occulté et ce que nous ne voyons pas est mis en exergue.

Entrer dans l’exposition Communes mesures, c’est découvrir une géographie intime et relationnelle petit à petit, c’est tracer une cartographie évolutive qui dévoile les divergences entre le centre et la périphérie pour laisser place à d’autres points focaux ; des endroits imaginés par et pour les communautés deviennent le cœur du propos. C’est aussi un dialogue pluriel et multicouche qui évoque un monde en transformation ainsi que la nécessité d’activer un courant, un lien, à l’aide d’outils comme l’attention, l’écoute et l’observation. 


(Exposition)

COMMUNES MESURES
RAPHAËLLE DE GROOT
MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DES LAURENTIDES
DU 10 FÉVRIER AU 9 MAI 2021