Après les délirantes concoctions de Jeff Koons, les espaces recréés de Xavier Veilhan, les songeries disneyennes de Murakami et le vigoureux, mais point sage, Venet à Versailles, qu’allait-il se passer au Château de Versailles maintenant que le mandat de Jean-Jacques Aillagon, directeur de l’établissement et promoteur de ces événements déclencheurs de controverses, arrivait à expiration ? Le suspense fut de courte durée car, prenant prétexte qu’il avait en même temps atteint l’âge de la retraite, le président Sarkozy annonça qu’il était d’office mis fin à ses fonctions. Cette nouvelle, Aillagon l’apprit comme tout le monde, en lisant les journaux. Le procédé, avouons-le, manquait quelque peu d’élégance.

Il avait heureusement déjà inscrit au programme de 2012 l’exposition de Joana Vasconcelos que Catherine Bégard, choisie pour le remplacer, assumera sans discussion. Quant au visiteur, que lui proposerait de nouveau cette croisade baroque soutenue par des galeristes et quelques puissants collectionneurs ? Sur les photos transparaissaient les extravagances de l’artiste portugaise dans leur radicale et joyeuse symbolique féminine, mais arriveraient-elles à la hauteur des œuvres de ses provocants contemporains ?

Confronté d’abord à Mary Poppins, le visiteur doute. C’est que cet enchevêtrement de boudins brodés ou crochetés, d’où saillent des pointes de toutes couleurs, utilisé pour évoquer la nurse au parapluie magique laisse perplexe. Ne court-on pas ici vers une régression ?

Cependant, après avoir zigzagué dans les salles suivantes parmi la foule des Chinois qui, caméra à la main, croquent l’éblouissant décor classique, il débouche dans le Salon de la Guerre que domine le très contemporain Cœur indépendant noir, haut de près de quatre mètres, œuvre cette fois plus homogène.

L’artiste en explique ainsi la source : « À l’origine, ce cœur est un bijou porté en pendentif par les femmes du nord du Portugal le jour de leur mariage. Un symbole de richesse et de pureté que je détourne, puisque mes Cœurs sont fabriqués à partir de cuillers, fourchettes et couteaux en plastique. » Il y a là un discours sous-jacent qui consiste à prendre des objets du quotidien pour en contourner le sens. Ainsi en est-il de l’utilisation d’une matière aussi humble que le plastique pour évoquer la parure féminine indispensable lors des mariages dans les familles aisées.

Le meilleur toutefois de ce jeu des ambiguïtés reste à venir. D’abord, installée au milieu de la célèbre Galerie des Glaces, voici Marylin représentée par une paire de rutilants escarpins hauts de plus de quatre mètres. Vasconcelos joue ici avec un humour assez pointu sur le contraste entre ces objets évoquant le sex-symbol que fut la star hollywoodienne et les matériaux choisis pour lui rendre hommage : des casseroles et leurs couvercles, attributs peu affriolants de la femme au foyer.

Il ressort de ce choix que l’artiste dispose d’un riche imaginaire pour exprimer sa révolte contre le rôle trop souvent dévolu à la femme, mais il n’y a tout de même pas que dérision dans son travail.

« Certaines œuvres nées spécialement pour Versailles en appellent directement à la magnificence du château, lieu le plus chic au monde », dit-elle. D’où Lilicoptère, « ma version 2012 du carrosse de Marie-Antoinette ! », inspirée non par la fin tragique de cette reine mais par « sa fascination pour les oiseaux » et « son goût des préciosités ». L’œuvre, longue de 10 mètres et pesant 900 kilos, consiste en une véritable structure d’acier à l’armature rehaussée de feuilles d’or, aux pales recouvertes de plumes d’autruche teintes en rose, à l’intérieur en cuir et bois précieux et au moteur enrichi de multiples cristaux. Cette extravaganza aux dimensions phénoménales et techniquement fort complexe ne saurait être le fait d’une seule personne. Aussi, profitant des acquis du pop art qui ont habitué les collectionneurs aux œuvres hors format et jouissant déjà, à 41 ans, d’une réputation internationale, Joana Vasconcelos peut disposer d’un atelier de 2 000 mètres carrés sur les bords du Tage, fleuve qui arrose Lisbonne, et travailler, si besoin est, avec une équipe de 27 collaborateurs.

2013 à Versailles

À sa première conférence de presse, Catherine Bégard annonçait son intention de « revenir à des expositions moins polémiques » pour ne pas dire « outrageusement intrusives ». Son premier invité sera en effet Giuseppe Penone, un des représentants de l’Arte Povera, mouvement italien de la fin des années 1960 qui prônait la valorisation des matériaux les plus modestes : terre, cire, éponges, ouate même, aux résultats souvent poétiques. Cet art, qui a depuis longtemps dépassé l’étape du scandale, s’adressera à un tout autre public.

Par ailleurs, en invitant l’Italien Penone pour succéder à la Portugaise Vasconcelos, la nouvelle responsable marque la fin de l’alternance artiste étranger-artiste français ayant prévalu jusqu’alors.

JOANA VASCONCELOS — Versailles
Du 19 juin au 30 septembre 2012

PENONE — Versailles
Du 11 juin au 31 octobre 2013