Exposition « Révolution au MBAM 1966-1970 » : en ce temps-là, tout était possible…
Le Musée des beaux-arts de Montréal présente une importante exposition encyclopédique qui traite essentiellement des années 1966 à 1970 en Angleterre et aux États-Unis. Grâce à une collaboration avec le Victoria and Albert Museum de Londres, l’exposition d’origine, conçue par Londres, a été enrichie d’éléments montréalais et canadiens qui mettent en perspective l’identité québécoise de l’époque en reliant ces années angulaires à une tendance internationale qui opéra un changement profond de valeurs. Diane Charbonneau, la commissaire de l’exposition pour le Musée des beaux-arts, répond à mes questions.
Manon Blanchette – Pourquoi le Musée des beaux-arts de Montréal présente-t-il cette exposition maintenant ?
Diane Charbonneau – Révolution « You Say You Want a Revolution » est le fruit d’une première collaboration entre le Victoria and Albert Museum de Londres et le Musée des beaux-arts de Montréal. L’exposition nous a d’abord été offerte et, du fait que le concept comprenait une section traitant des expositions universelles, dont celles de Montréal en 1967 et d’Osaka en 1970, notre directrice, Nathalie Bondil, a vu là une opportunité pour Montréal. Dans le contexte du 50e anniversaire de l’Expo 67 et du 375e anniversaire de la fondation de Montréal, Révolution offre un regard sur les changements profonds que vivait la société de l’époque. Madame Bondil et moi-même sommes donc allées à Londres en décembre 2016 pour nous familiariser avec la scénographie et l’ensemble de Révolution. Conquises, nous avons constaté qu’il s’agissait d’une exposition très fouillée, qui racontait l’histoire de cette période à travers une approche multidisciplinaire et immersive. Une mise en contexte québécoise s’est rapidement imposée à nous, surtout que les années 1966 à 1970 étaient également des années charnières à Montréal.
La publication qu’a réalisée Londres a été un atout majeur dans la décision de retenir l’exposition puisque nous avons bénéficié, grâce à Geoffrey Marsh qui avait déjà écrit un court texte sur le sujet de l’Expo 67, d’un élargissement de perspective. D’ailleurs, l’ensemble de la publication, qui n’est pas le catalogue de l’exposition, va bien au-delà des pièces présentées. Les analyses sont approfondies et mettent en lumière la société de l’époque : sa musique, la mode, les nouvelles habitudes de consommation et tout le mouvement de contreculture. Comme objets vedettes de l’exposition, outre le veston de Jimmy Hendrix, nous avons le premier ordinateur dessiné par Steve Jobs et construit dans son garage. Une icône ! Rappelons-nous que c’est au courant des années soixante que les jeunes Anglais et Américains et, par extension les Montréalais, ayant davantage de moyens financiers, ont voulu se démarquer de leurs parents en affichant de nouvelles valeurs visibles dans leur vie quotidienne et dans leur attitude. Montréal vivait à sa manière les mêmes changements.
Le Musée des beaux-arts de Montréal a déjà traité des années soixante. Comment cette exposition se situe-t-elle par rapport à ce que nous avons déjà eu la chance de voir, et avez-vous choisi Révolution comme un complément ou comme une suite de la précédente ?
Il est vrai qu’en 2004 Stéphane Aquin et moi-même avions réalisé l’exposition 1960, Art et Design. Il s’agissait principalement d’une exposition d’art. Révolution se veut une exposition immersive grâce à la musique qui est présente tout au long du parcours. Elle touche à toutes les sphères d’activité de la société. L’expérience de l’exposition est donc très différente. Nous ne sommes pas dans l’esthétique bien que le design, la mode et la musique comportent évidemment une part d’esthétique. Je dirais qu’ici nous sommes davantage dans le document. Bien que l’exposition présente certaines œuvres des années soixante, j’ai évité de répéter, j’ai préféré saisir l’occasion qui m’était donnée d’exposer des pièces québécoises rarement vues. Le concept initial étant enrichi d’un volet québécois important, grâce principalement à notre collection et à la recherche archivistique que j’ai menée, nous offrons une compréhension plus large du phénomène, ce qui rejoindra notre public. Parmi les œuvres, il y a des peintures d’Hurtubise. On peut aussi voir des images de la mousseauthèque, une discothèque aux environnements multimédias psychédéliques. Jean-Paul Mousseau, un des signataires du Refus global, tout en faisant de la peinture, avait accepté de réaliser cette boîte de nuit très fréquentée par la jeunesse de Montréal. Des affiches originales, de la musique de Robert Charlebois, des vêtements ne sont ici que quelques éléments qui enrichissent l’exposition afin qu’elle touche les Montréalais tout comme les non- Montréalais.
Quels sont les défis d’une telle collaboration entre musées et comment as-tu pu négocier ton apport ?
Mon apport se jouait à plusieurs niveaux. Par exemple, dans le cadre de la scénographie, l’exposition originale présentait des livres tout au long du parcours. J’ai plutôt choisi de constituer une bibliothèque dans laquelle j’ai ajouté des ouvrages québécois et canadiens dont Prochain épisode écrit par Hubert Aquin en 1965 et Nègres blancs d’Amérique que Pierre Vallières écrit en 1968 et, compte tenu de son impact indéniable sur notre société, un extrait du Refus global des Automatistes. Ces choix font sens ici même à Montréal. Le second défi s’est situé dans l’interprétation des multiples textes de présentation des objets. Des choix d’extraits ont donc été faits et des adaptations pour le Québec ont été ajoutées tout en respectant la cohérence de l’ensemble de l’exposition. Un travail minutieux d’assimilation, d’évaluation et de synthèse analytique a été fait. C’est d’ailleurs là où mes multiples formations en histoire de l’art, en sociologie, en communications et en « Museum Studies » m’ont été utiles. Elles m’ont permis d’avoir une vision large fondée sur une pensée d’abord conceptuelle.
Comment le visiteur doit-il aborder l’exposition ?
Il s’agit d’une exposition immersive. Il faut vivre l’expérience en se laissant porter par la musique qui d’ailleurs est de très haute qualité, de type numérique. Un travail de synchronisation avec les images a été fait de sorte qu’il n’y aura pas de décalage entre le voir et l’entendre. Et, comme pour les objets, une recherche a été effectuée afin de présenter des musiques qui illustrent cette époque à Montréal. Parmi celles-ci, je mentionne spécifiquement Lindberg, chanson interprétée par Robert Charlebois et Louise Forestier, parce que, lors d’un voyage en Californie au cours des années soixante, Charlebois entre en contact avec la musique de Janis Joplin et qu’il revient avec une sonorité qui a révolutionné sa musique influençant ainsi celle des autres. Car, même si le yéyé des Baronets ou du groupe Les Classels connaissait la faveur d’un large public, il s’agissait principalement de traduction à partir de l’anglais. Avec Charlebois, qui a d’ailleurs une formation en théâtre, survient le concept d’improvisation en musique. En s’inspirant des grands rassemblements musicaux, Montréal a organisé aussi des événements. C’est l’époque de L’Osstidcho, un spectacle, un phénomène qui mettait de l’avant l’idée que l’art venait du chaos et du désordre. L’impact sur la musique a été irrévocable. Cela dit, cette exposition n’est pas nostalgique. Il faut plutôt la voir comme une forme de questionnement sur les problématiques de l’époque : l’environnement, le féminisme, la paix dans le monde et la consommation. On peut se demander si ces problèmes ont aujourd’hui été résolus.
À qui s’adresse principalement cette exposition ?
À tous ceux qui ont vécu personnellement cette révolution, bien sûr, mais pas uniquement. Les jeunes revisitent l’histoire de cette période. Ils écoutent la musique de cette époque et redécouvrent même les disques de vinyle, et les collectionnent, alors que nous les avons éliminés. De plus, ceux qui aiment la musique vivront une expérience sonore de très haute qualité. Le public aura vraiment le sentiment d’être au centre de la musique, il la vivra de l’intérieur, tout en se faisant raconter l’histoire de ce qu’il aura peut-être lui-même vécu.
Révolution « You Say You Want a Revolution »
Musée des beaux-arts de Montréal
Du 17 juin au 9 octobre 2017