La 9e Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières est plus ancrée dans l’art actuel que les précédentes. Non seulement les estampes sont exposées dans les quatre lieux d’art principaux de la ville, mais elles investissent aussi d’autres espaces, constituant ainsi une biennale off qui permet de découvrir d’autres œuvres. Où qu’il se rende, le visiteur est chaleureusement accueilli, un peu comme un étranger à qui son hôte veut montrer ce qui fait la fierté de la région.

Qu’a donc de contemporain la Biennale inter­nationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières ? Certes, l’actualité ne cesse de se transformer, et il appartient toujours aux artistes de la révéler, voire de la dénoncer. Le graveur américain Carlos Barberena, dans sa linogravure intitulée Who lives by the Sword…, interprète la célèbre gravure de Dürer en remplaçant la tête du chevalier qui rencontre la mort par celle de Mickey, tandis qu’un avion survole la scène. Mais la contestation politique la plus percutante est assurément celle de l’Iranien Mehdi Darvishi. L’estampe en intaglio intitulée Until one hundred years later, pour laquelle il a reçu le Grand Prix de la Biennale, est une extraordinaire mise en abyme. Il s’est représenté marchant, avec son autoportrait sous le bras, sur une terre creusée d’une multitude de fosses parfaitement alignées. Sa chemise à carreaux est assortie à cette perspective funèbre. Il est facile de comprendre que le moindre faux pas lui serait fatal. Mais la mort ne guette pas que ceux qui vivent sous un régime dictatorial, elle menace l’humanité qui utilise la puissance atomique à ses risques et périls. Are You Ready For That Great Atomic Power ? C’est ainsi que Nathan Meltz interpelle le spectateur en plaçant devant ses pieds un imposant tas de sérigraphies déchirées qui évoque une catastrophe nucléaire. Plus optimiste est apparemment l’artiste de la Colombie-Britannique Shinsuke Minegishi, à en juger sa série Résurrection. Lors d’un voyage au Japon, il a constaté la volonté de survivre des habitants après le terrible tsunami qui a endommagé la centrale de Fukushima. Néanmoins, le giant boy qui marche sur l’eau, adossé à un V inversé, a davantage l’air d’une apparition que d’un être vivant.

Le pétrole fait aussi partie des préoccupations environnementales des graveurs. Ruthann Godollei, auteur de la sérigraphie intitulée Spew, symbolise un déversement de brut avec un bidon qui, en se renversant, crée une marée noire.

Au XXIe siècle, les femmes ont encore besoin de faire reconnaître leurs droits. L’artiste belge Martine Souren porte fièrement le flambeau du féminisme avec sa cohorte de femmes démultipliées qui accueille le visiteur dans la première salle de la Galerie d’art du Parc. Parmi elles, on reconnaît la Parque avec ses ciseaux, Hécate qui tient en laisse le chien Cerbère et Victoire, une athlète qui semble promettre aux femmes qu’elles vont voler vers le succès.

D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Ces questions que posait Gauguin au XIXe siècle doivent être réactualisées à chaque époque. Les deux Maze creator imaginés par le Thaïlandais Wal Chirachaisakul ont des labyrinthes en guise de cerveaux, comme si les jeux électroniques avaient accaparé l’esprit humain. Quant au Polonais Marcin Bialas, il propose plusieurs Other way, impraticables pour quiconque est sujet au vertige, dans des villes à l’architecture impossible qui ne sont pas sans rappeler celles inventées par Escher. « L’homme est un loup pour l’homme », écrivait Plaute au IIe siècle avant J.-C. L’artiste française Ariane Fruit a intitulé Meute sa série de cinq linogravures qui occupent le mur du fond de l’ancienne gare ferroviaire. La foule qui débouche d’un tunnel semble se précipiter vers nous de façon menaçante, peut-être parce que nous avons refusé de hurler avec les loups. Les personnages sont flous, comme si nous étions pris de panique. Il s’agit là d’une œuvre remarquable que ses dimensions – cinq mètres de long – inscrivent plus nettement encore dans l’art actuel.

En effet, le grand format est bien une des caractéristiques de la gravure contemporaine. La sérigraphie de Chloé Beaulac intitulée Au cœur du magnétisme mesure presque quatre mètres. L’artiste québécoise joue sur la forme et insère une figuration pseudo-scientifique à travers un réseau de lignes qui crée une illusion tridimensionnelle. Les graveurs d’aujourd’hui se plaisent à outrepasser l’espace à deux dimensions. Yael Brotman, dans sa sculpture en papier Kurotani intitulée Tatlin’s Fence, revisite la tour de l’architecte russe Vladimir Tatlin (1885-1953) qui devait être érigée pour la IIIe Internationale et qui est restée à l’état de maquette. C’est de façon ludique que Libby Hague interprète cette même structure architecturale dans son installation Tower. Néanmoins, l’édifice fait de fragments de papier reliés par des fils, au sommet duquel sont posés deux personnages qui s’étreignent, est extrêmement fragile. Enfin, l’installation Boxes in transit de l’artiste belge Frederik Langhendries se distingue de toutes les autres, car elle est multidisciplinaire. Les boîtes posées sur une palette font penser aux sérigraphies de Pierre Ayot, mais la vidéo, qui montre le transport sur un chariot, confère à l’œuvre un surcroît de réalisme.

Il est certes difficile de rendre justice à une manifestation qui réunit des œuvres de 57 artistes. J’ai privilégié le point de vue de la contempo­ranéité : installations, grands formats, sens de la contestation, expression du pessimisme. J’ai, de ce fait, passé sous silence des estampes de petites dimensions et d’un grand raffinement.

9e BIENNALE INTERNATIONALE D’ESTAMPE CONTEMPORAINE DE TROIS-RIVIÈRES
Centre d’exposition Raymond-Lasnier, Galerie d’art du Parc, Musée Pierre-Boucher, Ancienne gare ferroviaire (Trois-Rivières)
Du 21 juin au 6 septembre 2015