Après les explosions
Sébastien Worsnip compose des œuvres abstraites où les formes oscillent entre déconstruction et reconstruction. Le jeu des lignes et des aplats provoque une tension à la surface de la toile et suggère des espaces perçus en intermittence. Vie des arts a rencontré l’artiste à la Galerie d’art d’Outremont où, sous le titre Immobilisations, il a exposé ses peintures récentes.
Vie des Arts – À l’instar de votre dernière exposition solo à la Galerie Joyce Yahouda en 2016, votre production actuelle s’articule autour de la représentation de l’explosion, de la déflagration. Pourtant, votre nouvelle série de tableaux s’intitule Les Immobilisations. Qu’en est-il au juste ?
Sébastien Worsnip – Cette nouvelle série se situe en effet en continuité avec la précédente où j’avais réalisé des espaces reflétant des moments instantanés qui se fracturaient immédiatement. Dans l’exposition à la Galerie d’art d’Outremont, je ralentis ces moments au point de donner l’impression de les figer. Les déflagrations deviennent plus douces, plus circonscrites. C’est comme si je peignais les instants après l’explosion. Comme j’aime les transitions et les effets de mouvement dans la peinture, je pense à la trajectoire qu’emprunteront les fragments, donc à leurs déplacements à la surface de la toile. Mais je m’efforce simultanément aussi de neutraliser le tout en suggérant la représentation d’un instant d’immobilité. D’où le titre : Immobilisations. Je dois ajouter que l’année de production des tableaux correspond dans ma vie à un état paisible et moins dramatique que les périodes précédentes. C’est pourquoi le chaos a cédé tranquillement le pas à un état de contemplation.
Quel est le mode de construction de vos tableaux récents ?
Je suis parti de fragments de tableaux que j’avais élaborés antérieurement. J’ai ensuite pris des photographies de ces détails. Je les ai découpées. J’ai intégré collages, caches, esquisses et aplats de couleurs sur du papier aquarelle. Ensuite, j’ai retravaillé le résultat avec le logiciel Photoshop pour obtenir des espaces qui m’intéressaient davantage. Mais cette opération reste un point de départ. Une fois que je commence à peindre, des accidents surgissent et la direction initiale change. Je ne peux pas tout contrôler. Le tableau devient une sorte de casse-tête où les éléments s’imbriquent les uns dans les autres.
Dans vos peintures, la présence d’éléments de structures et d’architectures agit à la manière d’une ossature. Mais que devient alors la couleur ? Quel est son rôle ?
La couleur transmet une charge émotionnelle, une humeur. Si, au départ, le dessin forme la matrice ou le squelette de l’œuvre, la matière colorée, elle, manifeste son intensité, sa vibration. C’est ce qui me permet d’atteindre l’harmonie. Il s’agit d’une démarche assez classique. Enfin, la couleur ne peut être séparée de la lumière. La luminosité suscite un rythme, une ponctuation qui équilibre l’ensemble du tableau.
Votre travail s’articule également autour d’une recherche sur la spatialité. Comment pouvez- vous la définir ?
Dans l’exposition précédente, j’avais multiplié les points de fuite. Dans ma production actuelle, l’horizon est plus limité. L’espace suggéré est plus concentré. Il revêt un caractère sculptural, car je conçois la peinture comme un espace où je peux à la fois me projeter (à l’intérieur), et demeurer distant et conscient que la personne qui regarde l’œuvre occupe elle aussi cet espace, c’est-à-dire le tableau. Ce va-et-vient, je l’assimile à un échange comparable à celui qui anime les peintures de Marc Rothko où le spectateur réagit selon ces deux modes d’appréhension de l’espace.
Comme j’aime les transitions et les effets de mouvement dans la peinture, je pense à la trajectoire qu’emprunteront les fragments, donc à leurs déplacements à la surface de la toile.
La temporalité et le mouvement sont deux autres éléments présents dans vos œuvres. Comment se manifestent-ils dans votre série ?
Le phénomène qui se produit me fait penser au bougé dans la photographie. C’est un effet que j’ai toujours cherché à rendre perceptible dans mes tableaux. En somme, je m’efforce de faire en sorte que le regardeur puisse pressentir un avant et un après. Par exemple, j’ai fait des œuvres où j’ai pris comme point de départ des esquisses réalisées à des moments différents ; je les ai combinées pour obtenir un sentiment de mouvement. Dans d’autres peintures, j’ai glissé des fragments qui s’apparentent à des plaques tectoniques qui se déplacent.
Dans le texte de présentation de votre exposition, il est mentionné que votre série Les Immobilisations débouche sur une réflexion considérant la destruction comme un mouvement vital. Qu’est-ce à dire ?
C’est dire que les choses sont toujours en mutation. Dans la philosophie bouddhiste, les humains cherchent toujours à figer leurs pieds sur la terre pour se sentir en sécurité. Or les choses sont toujours en déplacement et s’entrechoquent. Il n’existe pas de sécurité absolue. Voilà ce dont traite ma peinture même si elle comporte un caractère méditatif.
Certains observateurs attestent que la peinture est arrivée à un stade de saturation et que ses possibilités de renouvellement sont quasi nulles. D’autres ont même prédit sa mort. Comment entrevoyez- vous l’avenir de la peinture, en particulier celle de la peinture abstraite ?
J’ai déjà posé cette question à un ami qui m’a répondu que la peinture renaît à chaque fois que l’on prend le pinceau. Pour ma part, j’ai travaillé dans bien des disciplines artistiques, mais je reviens toujours à la peinture. À mon avis, si l’on peut parler de saturation, ce serait la saturation que cause la nouveauté extrême (la recherche de la nouveauté pour la nouveauté). D’ailleurs, lorsque je partageais mon atelier avec Fernand Leduc, c’est ce qu’il me disait. À l’époque, les créations des peintres abstraits dérangeaient des habitudes bien établies. Je suis très conscient que mon travail actuel est de facture traditionnelle, mais à en juger par les réactions qu’il suscite, il garde toujours le pouvoir d’émouvoir et de surprendre.
Notes biographiques
Né à Montréal, Sébastien Worsnip détient un baccalauréat en beaux-arts du Nova Scotia College of Art and Design (Nouvelle-Écosse). Il a également fait des études en design industriel à l’Université de Montréal de 1996 à 1999. Depuis 1995, il expose au Canada et à l’étranger, notamment au Gotlands Konstmuseum à Visby en Suède. Ses œuvres font partie de nombreuses collections, dont celles de Loto-Québec et du Musée national des beaux-arts du Québec. Il est représenté par la Galerie Michel Guimont à Québec. L’artiste est professeur en arts plastiques au Collège Jean-de-Brébeuf.
Sébastien Worsnip Les Immobilisations
Galerie d’art d’Outremont, Montréal
Du 11 janvier au 4 février 2018