À l’origine, la terre était une forêt. Au fil de l’évolution du monde et dans l’enchevêtrement des pieds, des troncs, des bras, des ramures, des frondaisons, il n’a pas toujours été facile de différencier les arbres et les humains. Sans doute y avait-il aussi des êtres hybrides mi-arbres, mi-humains. Quant à la première femme, elle devait ressembler à… Ariane Thézé ! Telles sont les hypothèses que formule non sans audace ni poésie Ariane Thézé, l’artiste. Il ne lui en pas fallu davantage pour élaborer une authentique mythologie que soutiennent dessins, photographies, inscriptions murales exposées à Montréal et à Villefranche, près de Lyon.

À la Galerie d’art d’Outremont, sous le titre Lignes d’erres, ce sont des images d’une sorte de guerre ou de combat avec ses vainqueurs et ses vaincus que propose Ariane Thézé. Dans des clairières sont étendus des blessés : ils ont perdu un ou deux bras, une ou deux jambes. S’agit-il de bûches ou de corps aux membres amputés ? Sont-ils laissés pour morts sur le champ de bataille ? Les billes de bois se prolongent par des représentations de pièces manquantes : bustes, têtes, bras… Organes fantômes ou imaginaires ? Organes d’une vie antérieure ? L’équivoque est permise. Ce n’est sûrement pas par hasard que l’artiste a intitulé la série de dessins qui les représentent L’ombre d’un doute.

Vénus anadyomène, 2013. Photographie numérique 100 x 75 cm

Mais, aux figures des gisants qu’absorbe déjà la terre, Ariane Thézé oppose son effigie verticale et glorieuse. Majestueuse et triomphante, elle prête son corps à sa Vénus anadyomène et, comme elle, sort des eaux. Sa chevelure toute de branchages lui sert de panache et de traîne. La voici donc créature hybride (végétale et humaine) apparentée aux êtres bicorporels (les titans de la mythologie grecque) mais, contrairement à eux, victorieuse des dieux et supplantant Aphrodite.

À la Galerie le 116 à Villefranche, quelque quarante dessins fouillent les entrailles de la terre. Armée de son crayon, l’artiste a débusqué sous le sol un réseau de galeries tortueuses qu’auraient creusé des vers et des serpents. Il faut attentivement scruter les mottes de terres, les éboulis de pierres, les cavités (grottes, cavernes) que rendent les hachures des fusains, les contours à l’encre ou à la gouache, les grenailles laissées par les bâtons de pastels pour découvrir, brisé en deux, un corps hybride (Lignes d’erres no 20 ), ou bien deux personnages nus en fuite (Lignes d’erres no 13), ou encore une femme tenant un enfant au bout de ses bras (Lignes d’erres no 27 et no 10), et puis un embryon lové dans une matrice noire (Lignes d’erres no 21).

Les corps qu’exaltent les dessins d’Ariane Thézé exigent une observation attentive pour se révéler comme tels, définis selon des tracés volontairement hésitants et tremblés. C’est Ariane, l’héroïne mythique, certes, mais coïncidant soudain avec l’artiste, brouillant le fil et le rompant parfois.

Naissance et renaissance s’inscrivent en une succession de cycles complexes où se mêlent géographies et itinérances, cartographies et perspectives scripturales au sein d’une vaste fresque murale qui constitue une sorte de synthèse temporaire des productions d’Ariane Thézé. Dans la sarabande de personnages réduits à leurs seuls contours et formant ainsi une ligne discontinue (la métaphore du fil est, une fois de plus, irrésistible), l’artiste prend et reprend en une envolée narrative l’ensemble de ses récits mythologiques.

Naissance et renaissance : ces deux mots constituent deux clés possibles de lecture des dessins, des photographies et des interventions d’Ariane Thézé où il faut accepter de se perdre si l’on veut s’y retrouver.


Ariane Thézé Lignes d’erres.
Galerie d’art d’Outremont
du 8 février au 4 mars 2018

Galerie le 116 art contemporain (France)
mai 2018