Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli
Une rencontre historique et quelques espiègleries
Les symposiums et les biennales ont souvent le but avoué d’inciter les artistes à sortir des sentiers battus. Or, si cette édition de la Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli a résolument placé les artistes hors des terrains qui leur sont familiers, ce fut pour des raisons qui tiennent aux différences de leurs cultures, même s’ils occupent le même territoire.
Anirniq (Esprit en inuktitut) – Le Nordet déboussolé, c’est un nom bien frivole pour la rencontre historique d’artistes issus de deux cultures et de deux réalités très différentes. Quatorze artistes du nord (Nunavik) et du sud du Québec ont été réunis et jumelés par les commissaires Béatrice Deer – artiste de la scène musicale et coordonnatrice de la coopérative Avataq, centre de promotion de la sculpture sur pierre des artistes du Nunavik – et le sculpteur Michel Saulnier. Un des objectifs de la Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli 2016 était d’offrir aux artistes d’autres possibilités de création, de formats et de techniques et d’élargir ainsi leur champ de discipline. Pratiquer la sculpture en taille directe sur pierre au Nunavik ne va pas sans contraintes, il y a notamment l’obligation de travailler en plein air à cause de la poussière, ce qui est très restrictif si l’on songe à la brièveté de l’été dans le Grand Nord.
Dans les ateliers d’Est-Nord-Est – associés pour la première fois à la Biennale –, Jean-Pierre Morin (Québec) a initié Jusipi Kulula (Quaqtaq) à la sculpture sur polystyrène, un matériau léger qui une fois renforcé avec une couche de fibre de verre, peut servir de maquette ou de matrice. Cette technique permet de produire des multiples, mais également des pièces monumentales et, éventuellement, des œuvres d’intégration à l’architecture – une voie qu’il serait assurément judicieux de voir les artistes du Nord emprunter.
Le très expressif sculpteur Lucassie Echalook (Inukjuak) a ravi les visiteurs en mimant ses propres sculptures, déclinant en séquence les gestes les plus intéressants à retenir d’une chasse au phoque. L’Inuk, qui exposait ses sculptures au Musée de la mémoire vivante en parallèle à la Biennale, s’est trouvé jumelé à Bernard Paquet, non pas artiste, mais technicien ayant une longue feuille de route d’assistant à la réalisation de sculptures monumentales ou de projets d’intégration des arts à l’architecture.
Des œuvres actuelles
Les artistes Judith Dubord (Saint-Jean-Port-Joli) et Julie Grenier (Kuujjuak et Montréal) ont réalisé une œuvre portable. Combinant des techniques traditionnelles d’assemblage et de perlage, elles ont créé une sculpture de feutre toute en féminité et délicatesse représentant les glaces du Nord, qui fera l’objet d’une performance.
Mattiusi Iyaituk (Ivujivik) est un sculpteur prolifique dont le talent a été reconnu dès les années 70. Comme beaucoup de ses confrères, il est appelé à voyager sur les cinq continents. Au contact d’autres cultures et de diverses expressions de l’art contemporain, il a naturellement adopté certaines influences et produit des installations où s’intègrent des matériaux trouvés. Avant tout artiste de la pierre, il a souhaité profiter de sa présence à la Biennale pour travailler le métal. Étienne Guay (Saint-Jean-Port-Joli) et lui ont bricolé un assemblage complexe greffé sur le side-car d’une motocyclette. Leur Sirène – qui ressemble plutôt à un monstre marin – est fabriquée avec du métal recyclé provenant de panneaux routiers. Œuvre ludique et colorée comme un char allégorique, elle a fait la joie de l’artiste inuit. Ravi de jouer dans ce registre, il clamait avec humour qu’avec cette œuvre mobile, ce n’est pas le spectateur qui fait le tour de la sculpture, mais l’inverse.
Des histoires à raconter
Le jumelage de certaines sensibilités artistiques a donné vie à des œuvres touchantes. Par exemple, Mary Paningajak (Ivujivik) a demandé au sculpteur Alain Cadieux (Saint-Jean-Port-Joli) de lui construire une « falaise ». La structure en métal et en bois récupéré qu’il lui a proposée est une représentation très symbolique (voire minimale) d’un paysage vertical, avec des oiseaux suggérés par des pièces de métal mobiles. Mary Paningajak a introduit, sur des petites saillies de la « falaise » de planches, de tout petits personnages sculptés en pierre à savon, agrippés contre la paroi dans une périlleuse escalade. Ils sont à la recherche d’œufs que l’on aperçoit, hors d’atteinte. Au sommet, un ours polaire surveille la scène. L’homme et le prédateur convoitent le même buffet. Elle a rehaussé le verso de la palissade d’une illustration en pyrogravure dans laquelle on saisit l’anecdote : la périlleuse cueillette des œufs, mais surtout l’expérience de la faim. On assiste ici à un choc des cultures qui permet de prendre un peu conscience de la distance qui sépare le Nord du Sud.
Le Nunavik fourmille d’artistes de grand talent. Ils innovent, s’ouvrent à d’autres horizons. S’ils doivent surmonter des contraintes physiques, géographiques, techniques, ils savent aussi très bien ce qui leur manque : ils ont besoin d’outils et de formation. Le Nord connaîtrait-il mieux le Sud que le Sud le Nord ? Lors de la table ronde Voir ailleurs, la pertinence des échanges Nord/Sud tenue le dernier jour de la Biennale, l’artiste céramiste Marie Côté a rappelé une erreur commune que commettent les gens du Sud : ils arrivent dans le Nord avec « trop de bagages » ; elle a répété à quel point le Nord mérite qu’on y arrive léger : « Il y a trop à apprendre là-bas, ne serait-ce que de vivre un instant l’expérience de cet espace, là où le territoire et les gens sont liés, dans une mouvance circulaire où l’on n’échappe pas au temps. »
Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli Anirniq – Le Nordet déboussolé
Commissaires : Béatrice Deer et Michel Saulnier
Du 21 au 24 juillet 2016