Lorsque vous avez la chance de trouver une galerie ouverte en été et que vous vous enquérez du sujet de l’exposition, vous obtenez généralement comme réponse : « C’est notre exposition d’été ». Si vous insistez, on vous précise : « Ce sont des œuvres des artistes de la Galerie ». Vous avez regardé des tableaux ou des photos, mais aujourd’hui, vous n’en avez plus aucun souvenir, parce que l’esprit a besoin de liens pour fixer ce que l’œil lui a transmis.

La Galerie Joyce Yahouda était ouverte cet été, et ce sont des œuvres d’artistes de la Galerie qui y étaient exposées. Mais Joyce Yahouda a confié l’exposition à un commissaire, en l’occurrence Yan Romanesky, qui avait monté en 2013 l’expo­sition Électrons libres. Celui-ci a « choisi le travail de 12 artistes qui jouent de différentes manières avec un détail se trouvant soit dans leurs œuvres précédentes, soit dans celles d’autres artistes, ou encore qui utilisent le détail comme sujet de leur œuvre ». Il n’en faut pas plus pour que le spectateur se prête au jeu de l’investigation et que l’exposition laisse sa marque dans la mémoire. En somme, Du détail à l’œuvre n’est pas une exposition d’été.

Certains artistes ont abordé le détail sous un angle scientifique. C’est le cas de Sébastien Worsnip qui utilise comme point de départ de ses tableaux abstraits des détails des paysages qu’il peignait auparavant. La toile intitulée Les traces qui restent évoque le cosmos et la théorie des cordes. À l’infiniment grand du peintre répond l’infiniment petit du sculpteur Denis Rousseau. L’impression au jet d’encre intitulée Rose-Aimée de Nano, qui est un agrandissement d’une coupe de la sculpture en polyuréthane intitulée Entre les fils no 3, évoque l’image d’une bactérie. Le dessin numérique de Michel Boulanger intitulé Difficulté d’émergence, dans lequel on distingue le passage d’un tracteur, est si délicat qu’il semble fait à la mine de plomb. Pourtant, il est extrait d’une animation 3D, réalisée à l’ordinateur.

Pour d’autres artistes, le détail a une valeur iconique. Ainsi, l’image d’une femme portant un bébé emmailloté sur son dos et arrosant le sol que Sylvia Safdie a vu apparaître en visionnant sa vidéo Morning est emblématique de la thématique de la présence et de l’absence si importante dans l’œuvre de cette artiste. On ne s’étonne donc pas de voir qu’elle l’a déclinée en une série d’impressions numériques et de dessins au graphite sur Mylar. La symbolique du partage de la nourriture est un thème récurrent dans l’œuvre de Massimo Guerrera. En 2008, il a repris le détail d’une performance intitulée L’heure du lunch (sortie de la cantine no 4) réalisée dans la rue en 1996 avec deux autres personnes. Les trois participants, attachés les uns aux autres, se nourrissaient mutuellement. Dans la grande toile intitulée Partager les outils d’affection, l’étrange trinité refait surface avec ses crânes surmontés de fausses auréoles.

Enfin, le détail peut faire partie intégrante du processus créatif. C’est le cas du travail de Sarah Bertrand-Hamel, qui reproduit sous forme de mise en abyme une œuvre qu’elle a précédemment réalisée. La tache d’encre que l’on voit dans La disparition du portrait (détail) a d’abord figuré dans une œuvre de très grandes dimensions, faite de papiers cousus, intitulée Tout est un mouvement géant : Christophe Jordache, qui avait été exposée à la Galerie Joyce Yahouda en 2008. Elle s’est ensuite retrouvée dans une impression au jet d’encre de cette œuvre que l’artiste avait installée dans le sous-sol délabré du Belgo en 2010. Le dessin qui figure dans l’exposition est la reproduction de cette photo au graphite et au crayon de couleur sur papier. Quant à Jacques Fournier, il a « détaillé » en fines lanières des livres. L’œuvre intitulée Fleuron d’été s’ouvre comme une fleur dont les pétales racontent des fragments d’histoire.

J’aimerais terminer par un conseil à mon lecteur : si vous voulez voir, l’été prochain, de belles œuvres dans une exposition intéressante comme celle-ci, visitez des galeries qui donnent un titre à leur exposition… d’été.

DU DÉTAIL À L’ŒUVRE
Commissaire : Yan Romanesky
Galerie Joyce Yahouda, Montréal
Du 1er août au 6 septembre 2014