Christian Marclay – Une leçon de cinéma
Montres, horloges, pendules, coucous, cadrans solaires… Les instruments utilisés pour indiquer l’heure se succèdent dans l’œuvre de Christian Marclay, The Clock. Dans ce montage vidéo de 24 heures, l’heure affichée à l’écran est identique à celle affichée à la montre du spectateur. Une prouesse technique, une compilation de milliers d’extraits de films, des années de recherche et de montage. Mais aussi et surtout, beaucoup plus!
Plus qu’un assemblage étonnant, beaucoup plus qu’une idée de génie, l’œuvre de Marclay est une leçon de cinéma, une réflexion profonde sur le temps, un montage rigoureux et des transitions parfaites. Ne vous attendez pas à une simple juxtaposition de cadrans de montres ou d’horloges. Marclay intègre également beaucoup de références au temps – dialogues, poursuites, enterrements… – et, surtout, réussit la gageure de donner l’impression au spectateur qu’il lui raconte une histoire, ou peut-être, comme dans les films d’Iñárritu, plusieurs histoires mises en parallèle qui vont s’assembler, tel un puzzle, à la fin du récit. Marclay y parvient, entre autres, en utilisant des extraits issus d’un même film, à intervalles plus ou moins longs. Ainsi, une réunion de travail dans une usine asiatique – grande table de conférence entourée d’une dizaine de collaborateurs, dans une pièce blanche dont le mur du fond affiche douze carrés noirs, en cercle, et deux immenses aiguilles pour indiquer l’heure – réapparaît à plusieurs reprises dans The Clock, entre 9 h 45 et 16 h. Un homme, ligoté, surveille avec terreur le réveil relié à des explosifs, à deux mètres de lui. Le spectateur le retrouvera également plusieurs fois, surveillant, comme lui, la marche inéluctable des aiguilles.
Cependant, malgré le sentiment de récit, il n’y a pas d’histoire, pas d’intrigue, pas de suspense. Le spectateur, l’esprit libéré de toute contingence romanesque, est donc entièrement disponible pour apprécier les prises de vue insolites, les ambiances, les couleurs, les procédés cinématographiques. Et par moments, il se dit que la façon d’indiquer l’heure dans un film présente peu d’originalité, et qu’elle marque son époque : plans de montres éclairées par une allumette, montres à gousset renfermant le portrait d’une femme, zooms avant ou arrière sur des pendules accrochées au-dessus d’une porte, puis cadrans de magnétoscopes, écrans de téléjournal… La période au cœur de la nuit, entre 2 h et 4 h 30, est un peu décevante. Les ressorts dramatiques ou narratifs sont sans doute moins présents la nuit : les gens sont seuls, boivent, dorment, sont réveillés par le téléphone. L’œuvre de Marclay – est-ce voulu ? – montre une certaine redondance dans les films américains : « What time is it? » « Ten past two » (ou toute autre heure comprise entre 1 h et 10 h). « Shit », ou « Fuck », augmenté de quelques variantes. Les tables de nuit sont également tristement monotones : téléphone, réveil, montre, avec très souvent un cendrier plein, constituent l’équipement de base. Films américains en effet, car Marclay a pioché essentiellement dans ce réservoir inépuisable. On trouve aussi beaucoup de films européens, un certain nombre d’asiatiques ; mais les productions africaines, indiennes ou arabes sont plutôt rares. Peut-être le rapport au temps y est-il moins présent…
Quant aux transitions, elles sont si parfaites que, parfois, il est difficile de savoir s’il s’agit encore du même film ou si un autre l’a remplacé. Là aussi, le spectateur reçoit une belle leçon sur les procédés cinématographiques de changement de scènes.
CHRISTIAN MARCLAY – THE CLOCK
Musée des beaux-arts du Canada
380, promenade Sussex, Ottawa
Tél. : 613 990-1985
Sans frais : 1-800-319-ARTS
www.beaux-arts.ca
Du 9 février au 25 mars 2012 (projection intégrale certains soirs)