Vingt-quatre artistes et collectifs ont répondu à l’appel de l’équipe d’Avatar pour son projet Repères, mis en place au tout début de la pandémie. Cette compilation de témoignages marqués à vif par les conséquences d’un enfermement offre de se familiariser avec les potentialités de l’art sonore. Qu’ils aient créé des œuvres courtes, qualifiées de « miniatures », ou longues, nommées « excavations », les créateurs semblaient se synchroniser à des rythmes semblables. Voici sept projets qui animent certaines des récurrences thématiques ou formelles qui traversent l’entièreté de cette compilation.

Processus d’intimité 

En stoppant la productivité effervescente du présent, quels doux vacarmes viennent entrecouper les silences qui se déposent dans nos espaces de vie ? Les microphones d’une panoplie d’artistes se sont tournés vers les subtilités sonores qui parsèment notre intimité. 

« Vouloir rendre audible sa pensée », prononce Alexandre Bérubé dans Enregistrements d’un monde qui se replie et se concentre dans mes appartements. En monologue avec lui-même, l’artiste semble s’extraire de la douce animosité ambiante. Une solitude salutaire pour la création ? Sans doute. Cependant, le rythme de déclamation est empreint d’une lourdeur, comme si certaines syllabes engourdissaient l’esprit. Une autoréflexion qui s’allonge jusqu’au sol, au niveau de nos incertitudes qui contaminent les craquements du parquet. 

Tout peut y passer, tout doit y passer. Chaque surface visible se couvre d’une épaisse couche d’inquiétudes. Pascale LeBlanc Lavigne bricole une machine à la signature sonore inimitable, ce que je m’imagine être une laveuse déglinguée. Cette machine se déplace d’un endroit à un autre, LeBlanc Lavigne utilisant judicieusement des sons captés sur le vif pour contextualiser l’oreille à l’écoute. Un engin autonome, capable comme son titre l’indique de Tout désinfecter, tout le temps, toute : une mouette, une automobile, de la vaisselle, un dispositif numérique. Une invention essentielle.

En stoppant la productivité effervescente du présent, quels doux vacarmes viennent entrecouper les silences qui se déposent dans nos espaces de vie ?

Périples abstraits 

Les indices sonores de certaines œuvres délaissent les repères précis pour se rapporter plutôt à l’abstrait. Des moments fictionnels à la sensorialité prenante.

Miriane Rouillard réalise Repère 8, une pièce où les impacts de différents objets créent une expérience d’oppression. En un agencement de fracas, des outils sont métamorphosés en textures auditives étranges. La signature sonore des clous est à peu près identifiable jusqu’à ce qu’elle se résorbe dans son propre écho. Le choc disparaît presque comme il était apparu. L’enchaînement de pulsations contondantes crée un décor industriel engagé dans son autodestruction. 

Un écho profond dont l’onde caverneuse court le long d’un tunnel à mi-chemin entre des textures organiques ou synthétiques. Hélène Prévost expérimente un voyage poétique interne au cours duquel se brisent et convergent des forces invisibles. Une voix féminine reste identifiable à travers le brouillage et le cillement lancinant que la pièce Le 34e grave dans notre mémoire. Il faut suivre le fil d’Ariane vocal dont la destination reste inconnue. Patrice Coulombe propose un voyage caverneux semblable avec Extrospectif (Document No.6), mais dans un format de vingt-cinq minutes, où les textures deviennent palpables en augmentant le volume de son lecteur audio. 

Photo : Josué Beaucage

Incapacité langagière 

Les pièces dans lesquelles la langue est fortement présente brouillent les limites entre narration et travail formel. La rationalité des mots apparaît très fragile une fois qu’ils sont prononcés. 

Alexandre Berthier anime le personnage de Budaï, le protagoniste polyglotte du roman Épépé écrit par le Hongrois Ferenc Karinthy. D’une lecture fidèle de l’œuvre littéraire, Berthier digresse. Dans un jeu de superpositions sonores, les extraits qu’il déclame forment un dédale littéraire. Au titre Budaï cherche un moyen, désespérément, pourrait être ajouté qu’il cherche désespérément à se repérer dans une ville lui étant inconnue, et comme pour lui, notre esprit divague. La plume de Karinthy charme, alors que la narration volontairement confuse de Berthier créer un effet narratif humoristique percutant. 

La voix résonne dans la solitude urbaine tel un sonar. Josué Beaucage décide d’explorer le silence d’une ville durant une longue marche qui, de prime abord, semble aussi anodine que de répondre au téléphone pour prononcer « oui, allô ? ». Dans cette excavation d’une vingtaine de minutes, les échos des pas tracent un parcours de plus en plus survivaliste alors que la foulée assurée d’un homme fait craquer des feuilles mortes ou résonner les marches en bois d’un escalier. Sporadiquement, il clame son « Oui, allô ? » presque enfantin, brisant le silence immense de l’urbanité confinée. 

Le flair de Simon Elmaleh, à la direction artistique, et de Myriam Lambert, à la direction générale, pour concocter cette série pertinente ne fait aucun doute. Une série comme celle-ci transforme une épreuve collective en expérience esthétique : sans être occultée, l’épreuve est magnifiée et la compilation favorise la résilience. Maintenant que les œuvres sont figées sur une plateforme de diffusion en continu, nous pourrons y revenir. L’épreuve est surmontable. 


Cet article s’inscrit à la suite du texte Topographie sonore de l’urgence « Repères » du Centre Avatar, paru dans le numéro 259 – Été 2020 de Vie des Arts.