À l’automne 2021, la Centrale galerie Powerhouse accueillait Création d’un monde éthéré, la première exposition solo de l’artiste multidisciplinaire Esther Calixte-Béa. Conçue par l’artiste et commissaire Cécilia Bracmort, l’exposition proposait un large corpus d’œuvres, allant de la peinture acrylique sur toile à la photographie, en passant par des créations textiles. Récemment graduée de l’Université Concordia, Calixte-Béa nous conviait dans son univers pétillant dans lequel elle traite avec justesse de l’émancipation des corps féminins, notamment racisés. Son travail remet en question les normes standardisées occidentales et la violence héritée de siècles de colonialisme et de patriarcat envers les femmes noires.

Accueilli par l’œuvre Birth of a Tribe (2021), le visiteur se sent d’emblée happé par cet univers parallèle, empreint d’une douceur mystique. Que ce soit le sol jonché de pelouse artificielle ou les murs peints de bleu ciel, ces éléments nous rappellent sans équivoque un jardin, symbolique d’un éden luxuriant. Il est alors intéressant de se pencher sur l’utilisation même du terme éthéré, venant de l’éther, utilisé par l’artiste pour parler d’une atmosphère supérieure céleste. L’ensemble invite ainsi à se rapprocher de ce monde d’expression pur et sans jugement.

Vue d’exposition Création D’un Monde Éthéré d’Esther Calixte-Béa (2021) La Centrale Galerie Powerhouse. Photo : Lucie Rocher
Vue d’exposition Création D’un Monde Éthéré d’Esther Calixte-Béa (2021) La Centrale Galerie Powerhouse. Photo : Lucie Rocher

L’exposition semi-autobiographique est composée d’une scénographie en trois univers se faisant écho. L’artiste la conçoit comme une analogie au cheminement intérieur qu’elle-même emprunta autrefois, vers l’acceptation de soi. Ce parcours est initié par une zone de peinture acrylique aux tonalités vibrantes et sur laquelle figurent des scènes mythologiques. Des femmes arborent coiffures et ornements confectionnés avec leurs poils pubiens. Ce sont les Fyète Souhou-te, des membres de la tribu matriarcale imaginaire créées par l’artiste en référence à ses origines, de la tribu  de la Côte d’Ivoire. Parce que l’artiste s’est plu à renouer avec son âme d’enfant, elle créa de toute pièce cette tribu où les poils pubiens sont arborés fièrement comme symbole de maturité et de fertilité. Par la création de cette communauté fictive, Calixte-Béa contribue à consolider une nouvelle mythologie collective contemporaine.

L’exploration des idéaux corporels est abordée directement dans la série de photos Paradis idéal (2020). Composée en triptyque, cette série d’autoportraits1 remet en question les normes de beauté, et notamment l’influence que la société a sur la perception de soi. L’artiste compose ici avec ses propres complexes pour les sublimer dans une série inspirée des poses des magazines de mode. Elle se met en scène et exhibe fièrement sa pilosité encore aujourd’hui taboue. Accompagnées de mannequins sur lesquels sont exposées les créations textiles de l’artiste, les photographies nous invitent à actualiser notre propre regard, car souvent biaisé par des archétypes patriarcaux.

Les gammes chromatiques employées dans l’ensemble du corpus sont froides, et une dernière partie est marquée par des empâtements pour matérialiser la pilosité des protagonistes. Les représentations figuratives mettent en scène des femmes libérées des diktats infligés à leur corps. Les personnages naviguent vers la guérison et s’élèvent vers leur nature divine, comme l’illustre la toile Chaos in perfection (2020). Par ces réalisations, Calixte-Béa célèbre l’effet cathartique du récit mythologique inventé et l’amorce tant attendue d’une réconciliation.

Vue d’exposition Création D’un Monde Éthéré d’Esther Calixte-Béa (2021) La Centrale Galerie Powerhouse. Photo : Lucie Rocher
Vue d’exposition Création D’un Monde Éthéré d’Esther Calixte-Béa (2021) La Centrale Galerie Powerhouse. Photo : Lucie Rocher

On ne pourrait pas passer sous silence la double connotation qu’entretient le discours des œuvres avec la scénographie de l’exposition. Qu’il s’agisse des murs colorés ou du choix audacieux de la lumière, on reconnaît la patte de la commissaire Cécilia Bracmort qui vient briser les carcans en ce qui concerne la mise en scène de l’espace. On retrouve cette idée de créer une nouvelle narration collective au sein même du monde de l’art. D’une impétueuse énergie, Bracmort met un terme au classique cube blanc (white cube) et brise à son tour les codes dominants qui pèsent encore sur les pratiques contemporaines de l’art.

Création d’un monde éthéré est une invitation à la bienveillance, clin d’œil au concept de l’amour de soi radical (radical self-love) développé par l’autrice Sonya Renee Taylor. Dans leur élan de liberté contagieux, celle-ci et Calixte-Béa composent un hymne au respect et à l’acceptation de soi. Ce nouveau narratif trace la voie pour une histoire plus inclusive et offre une ascendance divine aux femmes, dans toute leur diversité. 

Intitulés Réflexion idéale, Moi idéal et Corps idéal.


(Exposition)

Création D’un Monde Éthéré
Esther Calixte-Béa
Commissaire : Cécilia Bracmort
La Centrale Galerie Powerhouse
Du 23 septembre au 28 octobre 2021