Danielle Lauzon
Entre le vide et le plein
Créatrice d’une œuvre picturale de tendance abstraite qui comporte cependant beaucoup d’éléments figuratifs, Danielle Lauzon propose des profils d’animaux d’allure chamanique, des fragments de paysages nordiques qui surgissent comme des bribes de rêve parmi des formes indistinctes. Il s’agit d’une peinture complexe et, à sa manière, joyeuse qui explore ses propres possibilités plastiques. L’artiste revient sur ses pas, reprend ses thèmes formels à partir d’un nouvel angle d’attaque…
Dans l’exposition Il était un rêve, Danielle Lauzon renoue avec le chromatisme, la calligraphie développée de ses jeux formels, les interactions du vide et du plein, ainsi que sur les thèmes d’inspiration souvent nordiques ou chamaniques de ses tableaux. En dépit des nombreuses composantes qui caractérisent ce type d’expression, l’effet général n’est jamais pesant et trouve son salut dans un esprit d’harmonie.
Danielle Lauzon se classe parmi les peintres qui portent une réflexion critique sur leur action. Ainsi, pour elle, l’acte de peindre devient transparent et se dévoile devant le spectateur. L’artiste américain Cy Twombly, affilié au modernisme tardif, peut être considéré aujourd’hui comme un classique, une référence parmi les artistes de cette mouvance. « Se situant dans la lignée de l’action painting, Cy Twombly a développé une sorte de répertoire de gestes propres à marquer un espace pictural, à partir d’un fond toujours blanc ou gris et qui possède souvent la fragilité du collage : écritures, griffonnages, raturages, graffitis à peine discernables… »1 À l’instar de Cy Twombly, Danielle Lauzon propose des calligraphies, des ratures, des traits libres, des jeux de lignes. Mais tandis que le flottement et l’impondérabilité des formes marquent l’œuvre de Twombly, une certaine matérialité des couleurs plus saturées – dont on distingue le bleu marin, le vert et l’ocre – ponctue l’œuvre de Danielle Lauzon.
On décrirait cette peinture comme « fondamentale » : « Toute cette peinture se situe dans l’interstice flottant où l’addition d’un minimum de matériaux, toile, châssis, pigment, une technique élémentaire, le pinceau qui traverse la toile, la couleur qui s’y répand, se convertissent en une œuvre d’art. Du coup, une importance nouvelle est donnée au geste du peintre (…). »2
Au cours d’une période de recherche entamée en 2010, Danielle Lauzon est passée d’une peinture à prépondérance métaphysique vers une peinture réflexive, c’est-à-dire qui explore sans restriction l’acte de : chromatisme, calligraphie, espace, jeu de lignes. S’intéressant aux expériences esthétiques autochtones – notamment en Australie – Danielle Lauzon s’est consacrée à l’étude de formes archétypales, telle la forme ovoïde soutenue par des tonalités de jaunes et d’ocre. Elles sont parfois reprises dans les créations actuelles en tant que fragments dans un espace pictural davantage scindé.
La couleur se manifeste de manière violente à travers les rayures et les taches qui s’épanchent. Le travail du noir est aussi essentiel : striations, griffonnages, spirales, tracés erratiques s’entrecroisent et quadrillent l’espace plastique. Le noir exprime le plein et le vide : il se traduit par des bandes reluisantes ou mates.
Chez Danielle Lauzon, la zone blanche « vide » est brisée, ébréchée, déchiquetée par le tracé imprévisible, turbulent, alors que dans la peinture chinoise classique les contours des formes et les transitions entre les couleurs – entre le vide et le plein – sont plutôt doux et harmonieux.
La joie de l’acte de peindre se manifeste dans la diversité des moyens utilisés (pinceau, spatule, application au doigt de la couleur, rouleau) ainsi que dans la variété de médiums artistiques (acrylique, encre, bâton à huile, collage). « Je travaille avec l’acrylique très liquide », explique Danielle Lauzon. Elle précise : « Je travaille plusieurs épaisseurs et j’enlève. Je travaille sur la transparence. » L’application des diverses couches de peinture est visible… Au bout du compte, l’effet d’agitation est tempéré par l’harmonie générale où baigne l’espace pictural.
Les œuvres récentes donnent parfois l’impression de raconter de subtiles histoires… encore qu’elles soient brouillées, car la narration essaime une profusion de formes. Dans Chasse à l’ours, un apparent ours polaire « déconstruit » est réduit à ses pattes qui se détachent d’une composition aux tracés noirs et aux lavis bleus. Dans Amérindie 3, un fragment de paysage composé de rochers est placé en haut à gauche ; il s’oppose à des griffonnages noirs au bâton à l’huile. Dans Amérindie 1, l’orange d’un soleil intense se dissipe à côté d’une bande acrylique blanche très « matiériste » ; d’inquiétantes irruptions de noir très directionnelles complètent la scène. Dans Afrique, émergent des figures zoomorphes évoquant des chiens.
Cette peinture, qui se reprend sans cesse, qui se laisse guider par le souffle du geste, qui ne se lasse pas d’explorer l’espace plastique, reflète en quelque sorte les aléas de l’existence et ses bifurcations cachées.
Danielle Lauzon Il était un rêve
Centre d’Interprétation Multiethnique de Rawdon
Du 2 au 26 juillet 2016