La rétrospective présentée à la salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval se proposait de dégager les lignes de force de la carrière de Renée Lavaillante depuis son passage de la céramique au dessin en 1986. L’œuvre graphique qui en a résulté fait appel aux « révélations silencieuses » qui « habitent l’espace du papier et le débordent » en tous sens, « dans une volonté réaffirmée d’échapper au contrôle de l’œil », comme l’écrit la commissaire Dominique Chalifoux.

Selon elle, « Lavaillante a été attentive à se laisser guider tant par l’ouïe que par le toucher1 » afin d’éloigner le dessin du rôle qui lui est habituellement assigné : celui de transcrire visuellement une idée. Pour contrer cette tendance à réduire l’espace-temps à un cadre neutre, elle s’ingénie à projeter le geste du dessin en temps réel dans l’espace vécu. Par exemple, elle trace à main levée les allées et venues de visiteurs de hauts lieux artistiques de Rome et d’ailleurs, et se bande les yeux pour signaler à tâtons (Charbonner à l’aveugle, 1998) les points d’impact aléatoires de cailloux lancés sur une feuille.

LA MÉMOIRE SOUS LA MAIN

« L’œil du sujet spatialisateur est greffé sur la main2» en un même geste de saisie, haptique plus qu’optique. Là réside la continuité entre l’argile façonnée et la marque graphique. Le crayon mémoire (1996) combine ces matériaux en un assemblage de trente-six carreaux de céramique – reliquats de l’atelier de poterie. Lavaillante investit chacun d’eux des plans, retracés à la main, des différents espaces qu’elle a habités depuis son enfance. Le mouvement introspectif d’exploration de strates mémorielles se transpose matériellement dans l’étendue extérieure d’une surface quadrillée. Une telle remontée dans le souvenir anime également la reconstruction des mouvements d’autrui qu’opère À tes dépens si tu te perds (2007-2008), « une série de dessins élaborés à partir d’informations non pas visuelles mais auditives3 » : les récits de randonneurs dans les Pyrénées. Leur parcours de terrain est répercuté par l’artiste, à leur écoute, pour en reproduire les sinuosités comme sur une carte, par un effort de mémoire de seconde main. Lavaillante extrait ensuite une de ces pistes de marche, telle qu’imaginée par elle au fil de leur narration par l’informateur, pour répéter le contour qu’est sa ligne jusqu’au bas d’une page, en sédimentations formant le profil accidenté d’une colline. La proprioception tactile verbalisée par les marcheurs se traduit ainsi en paysage schématisé par vibration sympathique avec l’attention de l’artiste, la rendant lisible comme sur un relevé sismographique.

Renée Lavaillante, Les périls viennent d’autres côtés, nº 8
Renée Lavaillante, Les périls viennent d’autres côtés, nº 8 (1993). Photo : Éliane Excoffier
Vue d’exposition Ruses. Œuvres de Renée Lavaillante
Vue d’exposition Ruses. Œuvres de Renée Lavaillante (2021) Salle Alfred-Pellan de la maison des arts de Laval. Photo : Éliane Excoffier

DES TRACES QUI FONT BRILLER L’ABSENCE

La synesthésie est déjà à l’œuvre dans les Cahiers des éclats (1997), à même les reflets et nuances du noir d’encre saturant leurs pages bruissantes et odorantes. Par « une autre ruse pour échapper à la domination de l’œil4 », Lavaillante tire Dessin de lumière (2019) des gestes effectués préalablement dans un espace noir, sans y voir, ayant capté un point de lumière avec une caméra numérique. La planéité de l’écran où virevoltait ce feu follet devient celle du papier d’impression qui fixe ses mouvements.

Dans une série où les silhouettes de galets jetés au hasard ponctuent un fin réseau de lignes horizontales, l’artiste se réclame à bon droit de Dibutade (2013-2015). Cette inventrice légendaire du dessin, pour capter l’ombre projetée de l’être aimé, n’en avait-elle pas déjà cerné l’essence, comme marque d’une absence présente en son tracé ? 

Je cite dans cet article le recueil de textes d’exposition consultable sur place durant celle-ci. Voir aussi la monographie de Nathalie Mignoli, Renée Lavaillante, une archéologie du dessin (Montréal : Occurrence / Alma : Sagamie édition d’art, 2016).

André Seleanu citant le philosophe belge Herman Parret (« Spatialiser haptiquement », Actes sémiotiques, no 112/2009) dans Comprendre l’art contemporain, (Montréal : Mots en toile, 2021), p. 188.

3 Dominique Chalifoux, dans le texte d’exposition.

4 Ibid.


(Exposition)

Ruses. Œuvres de Renée Lavaillante
Salle Alfred-Pellan de la maison des arts de Laval
Du 12 septembre au 31 octobre 2021