« Rarement, si ce n’est jamais, quelqu’un a guéri en isolation. La guérison est un acte de communion. »

À l’heure des politiques d’équité, de diversité, d’inclusion et de décolonisation (EDID), l’exposition multidisciplinaire de Stanley Février Être humain, est-ce un mal(e) absolu ? réactualise le concept du « zoo humain » pour nous confronter à une évidence : être noir, c’est n’être pas blanc. Présentée au Centre Expression à Saint-Hyacinthe, l’exposition se divise en trois volets : une rétrospective, de nouvelles œuvres et une installation participative. Le lyrisme qui traverse la production de Février expose le spectateur non seulement à une prise de conscience, mais à la nécessité de poser des actions concrètes.

Dès l’entrée, l’artiste détourne notre regard avec ironie et nous annonce par une enseigne lumineuse qu’il y a un Noir au musée. C’est toutefois l’homme blanc qui est mis en scène. La sculpture L’invention de l’homme (2021) projette la suprématie blanche. En allégorie de la liberté, la femme tournée face au mur lève fièrement son étendard, la capuche du Ku Klux Klan. Elle regarde ailleurs ; elle est la blanchité qui ne s’interroge pas.

Sous le régime colonial français des Antilles, le « Code noir » – l’Ordonnance royale signée par Louis XIV et promulguée en 1685 – a encadré juridiquement la vie des esclaves et a posé les jalons du racisme anti-Noirs. Annulée par décret en 1794, cette législature a tout de même modelé nos connaissances, suffisamment pour perpétuer certains biais. C’est pourquoi les œuvres de Stanley Février exposent le racisme comme expérience ordinaire. Sa création prolifique est dictée par l’urgence de faire voir ce que le philosophe Étienne Balibar nomme « le racisme sans race », c’est-à-dire la construction et la légitimation de comportements discriminatoires dans une société où chacun devrait savoir que le concept de races humaines n’a aucun fondement scientifique.

Quel est le désespoir que le système crée ? L’artiste juxtapose aux expériences personnelles un récit choral. Il fait de la souffrance humaine et de la critique institutionnelle la matière de ses œuvres performatives.

L’art peut à la fois apaiser des souvenirs douloureux (Portrait de famille, 2013) et rendre aux victimes leur humanité (Elektrokardiogram, 2015). Toutefois, si l’œuf représente la vie et sa fragilité, dans la série Les Archéologies (2014-2020) la coquille est cassée, puis vidée ; pour Février, il faut se briser pour exister. Cet écrasement revient dans les œuvres plus récentes. L’installation Il était une fois (2020) met en scène l’être humain dans toute sa vulnérabilité, un corps désincarné par l’oppression et la violence.

En confrontant le spectateur à des drames humains, Février participe à la construction d’une conscience collective en résistance.

En confrontant le spectateur à des drames humains, Février participe à la construction d’une conscience collective en résistance. Il travaille les enjeux sociaux ; il les observe, les étudie, les documente. Ses œuvres sont les empreintes de ces actions performatives. Les quatre-vingt-quatre chemises de Contact mortel (2019) rendent hommage à des personnes en état de crise tuées par les forces policières au Québec. Avec Beauté du monde (2012), l’artiste tire de l’anonymat depuis 2012 des victimes de fusillades de masse et de racisme ; il les prend sur soi et les glorifie.

Le racisme ordinaire est le legs de la pensée blanche devenue pensée monde. En réactualisant le concept de zoos humains, Février détourne encore une fois notre regard de ce qui se cache en pleine lumière. Dans l’installation Ne pas nourrir les indigènes. Ils sont nourris (2022), le spectateur se retrouve entouré de glaces où les termes du passé et du présent, traditionnellement associés à l’altérité, s’entremêlent en révélant leur continuité : indigènes, spécimens exotiques, village nègre, village Bamboula, freaks, jardin d’acclimatation, races, coréens cannibales, ethnic shows, sauvage… jusqu’au tout récent diversité. Ne nous regardons-nous pas toujours dans le miroir de l’Occident ? À l’ère des réseaux sociaux numériques, l’apparence a laissé la place à la réussite. Ce qui est communiqué donne forme à notre identité et éloigne le sentiment de vide que produit le système capitaliste. Février répond en créant un espace de véritable rencontre. Avec le trou du souffleur (2022), nous sommes encouragés à devenir producteurs de sens pour tisser des relations significatives, plutôt que consommateurs des expériences d’autrui.

Exposer, nommer et faire vivre une émotion sont les tâches cruciales d’une démarche socialement engagée. Si toute œuvre est pour l’artiste une mort en soi, la création est aussi un espace du devenir où le lyrisme sublime la violence. Il y a, dans l’œuvre de Stanley Février, un écho à l’enseignement de bell hooks (Teaching to Transgress, 1994) : nous devons apprendre à transgresser pour aimer mieux. 


(Exposition)

ÊTRE HUMAIN, EST-CE UN MAL(E) ABSOLU ? STANLEY FÉVRIER
EXPRESSION, CENTRE D’EXPOSITION DE SAINT-HYACINTHE
DU 29 JANVIER AU 24 AVRIL 2022